Les chefs de Clan que nous avons pu rencontrer sont très divers : il y a ceux qui essayent de créer, ceux qui reprennent en main, ceux qui essayent d’être à la hauteur du chef précédent, ceux qui aimeraient… mais qui ne savent pas, ceux pour qui «tout baigne»… et bien d’autres encore.
Tous, nous pouvons les interroger sur leur programme d’année, sur leurs projets. Nous aurons presque toujours la même réponse :
On va faire des réunions. L’abbé nous a promis un topo… comme ça on pourra se voir. Et puis on va essayer de faire une ou deux sorties, avec un truc sympa… Là, chacun ira de sa petite idée : le paintball, le canoë, la sortie en montagne… Et le service ? demandons-nous… Ah oui ! ça j’aimerai bien… j’ai quelques idées, mais on verra si les gars sont assez motivé et puis si on a le temps. De toutes façons, on donne toujours un coup de main pour le pèlerinage et pour la kermesse…
Etes-vous bien différents de ces chefs là ? Bien sûr, vous vous donnez, et ce que vous faites est bien. Mais n’avez vous pas l’impression de prendre le problème à l’envers ?
Regardons un peu ce que nous dit notre « doctrine » scoute…
Le scout est fait pour servir (article 3). C’est sa vocation, sa raison d’être. Et relisons ensemble cette belle cérémonie du Départ, synthèse de notre idéal. Cet échange entre le chef de Clan et le postulant, qui monte crescendo, jusqu’au point d’orgue de la cérémonie : es-tu prêt à servir ? et la réponse : je servirai…
Vertu du service, de l’oubli de soi-même, longuement cultivée par le «service rendu» du louveteau, puis l’exercice quotidien de la BA, signature du scoutisme, et expérimentée «grandeur réelle» au sein du Clan…
Si le service est si essentiel au scoutisme, pourquoi passe-t-il toujours en dernier dans nos programmes de Clan ? Pourquoi est-ce toujours cette activité qui a «sauté» parce que nous n’avions pas le temps ?
Chers chefs, remettons les choses à l’endroit :
Le Clan doit être tout tourné vers le service, vers l’action sociale et apostolique. Du service social, le louvetisme est la graine, le scoutisme en est la fleur et la Route le fruit. Qu’aurons-nous à récolter cette année ?
Mais il faut d’abord former les routiers, leur donner de bonnes bases doctrinales…
C’est vrai. Ils ont encore beaucoup à apprendre. On a toujours beaucoup à apprendre, et un routier ne se considère jamais comme arrivé. Il faut se former avant d’agir. D’ailleurs, tiens, si l’on revoyait un peu la progression pour les jeunes recrues à la troupe? C’est tellement inconscient de les laisser partir camper ainsi ! … Avant de pouvoir camper, chaque recrue devra donc se rendre à un cycle de réunions où elle apprendra toute la théorie de la vie de camp : triangle du feu, usage des nœuds, manières de lutter contre le froid, techniques de combat… Absurde ! me direz-vous ! on n’apprend pas à camper dans une salle de classe !
C’est exact. Alors pourquoi en serait-il différemment au Clan ?
Et puis, n’oublions pas aussi que le Clan doit être l’occasion pour le routier d’apprendre l’autonomie et la responsabilité. Sa formation, il doit prendre les moyens d’y participer au-delà des activités du clan, en collaboration par exemple avec son parrain et son directeur spirituel.
Mais je n’arrive déjà pas à avoir mes routiers pour quelques réunions… je fais avec ce que j’ai…
Et vous avez du mérite. Le recrutement, l’assiduité aux activités a toujours été un problème de la branche rouge. L’expérience prouve une chose : un jeune homme se donne des moyens proportionnels à l’enthousiasme qui le soulève. Prenez l’envie du garçon d’agir sur le monde qui l’entoure, multipliez la par l’état affligeant de notre société. Il faudra certes diviser par le manque de temps de nos jeunes, mais vous pourrez ajouter vos bonnes idées et votre art de séduire vos garçons. D’eux mêmes, ils en retrancheront alors toutes leurs occupations superflues. Croyez-moi, lorsque vos gars verront le résultat de cette opération, elle sera multipliée à nouveau par la satisfaction d’avoir agi, par l’envie de mieux faire, et par la reconnaissance des âmes que vous aurez pu toucher autour de vous. Alors, d’opération en opération, de service en service, votre efficacité, votre rayonnement et la motivation de vos routiers croîtront de manière exponentielle.
Mais mon but, n’est-ce pas d’abord de préparer mes routiers au Départ ?
Nous l’avons vu. L’idéal du Départ, c’est le service. Apprend-on à servir dans un salon, autour d’une table ? Ce ne sera pas par de longs discours et des études studieuses que vous leurs montrerez comment vivre leur loi scoute et leur idéal dans leur vie d’homme. C’est en leur faisant pratiquer. Et puisque nous parlons de la cérémonie du Départ, regardons ce dialogue. Certes, il commence par un As-tu songé… mais très vite, nous passons sur un registre beaucoup plus pratique : il s’agit de vivre, de faire des rencontres, d’ex-pé-ri-men-ter ! N’oublions pas tous les ressorts pédagogiques dont nous avons fait l’expérience à la troupe. Vous voulez enseigner quelque chose à vos routiers ? Commencez par leur faire vivre !
La tâche des clans de routiers, c’est d’appliquer progressivement aux œuvres d’intérêt social et apostolique les qualités personnelles acquises par les méthodes scoutes. Elles trouveront alors toute leur raison d’être et pourront pleinement s’épanouir et murir dans les personnalités de nos garçons.
Mais une fois, j’avais organisé un service, et ça n’a pas très bien fonctionné…
C’est compréhensible. Il est parfois difficile de rebondir après un échec. Est-ce pour cela qu’il faut abandonner ? Ne fera-t-on pas aujourd’hui mieux qu’hier et demain mieux qu’aujourd’hui ? Votre précédent service était un échec ? En avez-vous fait un bilan ? Pourquoi n’a-t-il pas fonctionné ? Où était votre principale faiblesse ? Comment y remédier ? Ainsi, vous partirez plus forts pour votre prochaine aventure.
Commencez par des choses simples, vous élèverez le niveau petit à petit. Mais commencez.
Mais je ne sais pas quoi faire… et j’ai peur que ça ne fonctionne pas…
Ne transformons pas les taupinières en montagnes. N’ayons pas peur d’échouer. Qui ose gagne dit une célèbre devise. Au service de la paroisse, de la municipalité, dans un quartier défavorisé… ayez de l’idée. Des idées que vous pouvez débattre en conseil de clan. Demandez à vos gars ce qu’ils ont envie de faire ! Selon votre clan, votre situation, vos talents… à vous d’inventer la manière dont vous serez le plus utile.
Comme le scout qui se trouve au bord de la falaise pour la première fois, prêt à descendre en rappel : il hésite, il tergiverse, il imagine tout, vérifie mille fois son baudrier. Il vous faut faire le premier pas. Celui qui coûte. Le reste suivra sans soucis. Et une fois en bas, vous aussi vous demanderez : on peut recommencer ?
Mais je ne sais pas comment faire…
Cela suggère que vous voulez faire quelque chose… c’est un excellent début ! Trouvez des personnes qui ont déjà opéré dans le domaine que vous visez. Ou encore plus simplement, adressez vous à l’équipe nationale de votre mouvement. Elle devrait savoir vous aider et vous apporter le soutien nécessaire… Devinez quoi : c’est même sa principale mission ! Alors ne tardez pas, mail ou téléphone, vous pouvez certainement les contacter…
Service ! voilà le mot d’ordre qui doit régner dans votre clan.
Voilà le moyen privilégié par lequel vous formerez vos routiers. Voilà comment vous leur apprendrez à être des français actifs et des chrétiens rayonnants. Voilà comment vous amorcerez cette reconstruction religieuse et sociale, urgente et nécessaire, à laquelle tous les hommes de bonne volonté sont conviés.
Lyautey avait pris pour devise le mot de Shelley : la joie de l’âme est dans l’action. Que vos clans rayonnent de cette joie d’avoir agi, de cette joie de servir le prochain d’une manière réelle et effective. C’est tout ce que nous souhaitons pour l’année qui vient. Alors, nous ne doutons pas que notre Divin Chef, par l’intermédiaire de sa Très Sainte Mère, saura vous couvrir abondamment de ses grâces, parce que tout ce que nous faisons au plus petit d’entre nos frères, c’est à Lui que nous le faisons…
Bonjour,
Tout d’abord bravo pour ce site, bien fait, simple, clair.
Permettez moi un ajout basé sur des pratiques anciennes et récentes quant au service en clan. Il est très clair que cette notion a été initiée par BP lui même dans Rovering to success, puis en France par Édouard de Macedo. L’un et l’autre pensaient d’ailleurs plutôt aux services au sein du scoutisme (les grands aident les petits), qu’à des services exterieurs. Mais peu importe, rendre service est toujours un don, si toutefois le service n’est pas inventé de toutes pièces pour justifier un voyage exotique, comme cela se voit assez souvent (camps de clan coûteux à l’étranger, avec campagnes de recherche de fonds, peu conformes à l’esprit de pauvreté et d’enracinement de la Route). Faire simple là où on est plutôt que sélectionner ses pauvres à perpète.
Le routier est – ou devrait être – fondamentalement un marcheur. Et le service ne peut se déconnecter de la nature marchante, spécificité de la Route, sinon il y a risque de transformer le clan en un groupe d’assistants sociaux. Or il arrive aujourd’hui que des clans soient plus à l’aise pour rendre service à telle ou telle communauté religieuse, qu’à user la semelle des chaussures des routiers sur les chemins poudreux, parce que activité jugée trop basique. Alors que justement, le basique, c’est la Route.
FSS
Bruno
Tout à fait d’accord avec vous.
Deux aspects :
– la Route est d’abord l’achèvement de la formation des routiers, qui ont besoin d’autre chose que d’activisme humanitaire pour se donner bonne conscience (ou se faire plaisir avec de bons prétextes, comme vous le notez fort justement). Elle nécessite donc, comme nous le mentionnons, la vie de camp, sur le terrain. A l’époque, quelques bonnes intentions qui envisageaient de faire des clans à cheval ont été vertement repris : la route, en effet, ça rentre par les pieds ! Plus encore qu’un exercice physique, c’est tout un état d’esprit, j’ose dire une spiritualité, à la suite de Celui qui n’avait pas une pierre où reposer sa tête. Grand sujet, sur lequel nous reviendrons.
– la Route est orientée vers le service du prochain. En cela, elle est le prolongement de la BA scoute. Elle n’est pas le passage dans une quatrième dimension, aux côtés des Restos du Cœur et de Médecin sans frontière. Quelques soient les mérites de ces associations, le service de clan doit justement ancrer le routier dans le réel et lui montrer qu’il peut véritablement changer le monde, là, devant sa porte, chaque jour que Dieu fait. C’est autre chose que de monter un grand projet qui dure dix jours à l’autre bout de la planète, qui est certainement très généreux, qui est une belle aventure humaine, mais qui retombe comme un soufflet. On n’éduque pas le routier à se donner une fois, mais à se donner à chaque instant, et à transcender sa vie toute entière – à la maison, au travail, dans les études, à la paroisse, dans les œuvres – par ce don total : « souviens-toi que tu ne t’appartiens plus mais que tu es fais pour servir » !
PS : et vous avez tout à fait raison, la Route est d’abord orientée vers le service à la troupe… mais c’est une autre histoire, j’espère que nous aurons l’occasion d’y revenir !