Nous avons vu comment, aux temps médiévaux, la féodalité et les liens qui unissent les vassaux à leurs suzerains construisent la société.
Forts et durs
A la fin du premier millénaire, il faut bien avouer que la force physique est la seule valorisée dans la caste des combattants, et que les activités de l’esprit sont plutôt synonymes de faiblesse. Nos soldats chevaliers s’ennuient entre deux guerre, et la vie dans les donjons rustiques ou la chasse ne suffisent pas à les satisfaire. Les femmes elles-mêmes sont aussi brutales que leurs maris.
Ces « chevaliers » n’hésitent pas à piller de temps à autre un monastère. Pourtant, ils sont déjà véritablement chrétiens : ils vont à la messe, en pèlerinage, s’assurent les prières des moines, observent les carêmes. Curieux paradoxes. L’Eglise persiste à vouloir adoucir ces esprits durs, et elle n’hésite pas à récompenser leurs campagnes contre les Mahométans qui assaillent l’Espagne (dès 878) ou la Basse-Italie, pour défendre le sanctuaire du Paladin du Ciel, au Mont Gargano.
La Paix de Dieu
Petit à petit, l’Eglise parvint à protéger tous ceux qui étaient sans défense. Bien avant les associations humanitaires ou la Convention de Genève, elle établit que quiconque pénétrait de force dans une église était excommunié ; et de même, toute personne qui portait atteinte au bien du paysan, du pauvre, ou du clergé. En langage moderne, on dirait qu’il était interdit de tirer sur un civil, ou même de s’en prendre à ses biens.
L’Eglise ne fait pas dans la demi-mesure ! Lorsqu’elle promet l’excommunication, c’est la peine la plus grave que puisse endurer un croyant : il n’a plus droit alors de recevoir les sacrements, il est exclu de la vie de l’Eglise, et il est certain d’être damné pour toute l’Eternité s’il meurt dans cet état. Ce n’est pas rien !
L’idée était née à Charroux, en 989, dans une assemblée où se mêlent archevêque, prêtres et laïcs des deux sexes. Pas de discrimination donc ! Et nos journaux titreraient allègrement : « Une initiative populaire protège le peuple », « Du travail collaboratif », « Un think tank qui porte des fruits », « la politique autrement »…
La Trêve de Dieu
Seulement voilà : le pouvoir central – l’Elysée – était impuissant à faire régner l’ordre. Comment donc faire appliquer ces bonnes idées ? L’Eglise exigea des serments des hommes de guerre. Si le récalcitrant était excommunié, c’était aussi tout son fief qui était privé des sacrements et de la messe, de sorte qu’il devait rapidement céder et se soumettre.
Mais au Concile d’Elne, en 1027, on va plus loin encore : « Dans le comté ou l’évêché d’Elne, il est interdit à tout habitant de prendre les armes depuis la neuvième heure (15 h) du samedi jusqu’à la première heure (6 h) du lundi » « afin que chacun puisse accomplir son devoir dominical envers Dieu. »
De l’évêché, le principe s’étendit à tout le monde chrétien, et en 1041, en France, sous l’influence de Cluny, la suspension des hostilité allait – tenez vous bien – du mercredi soir au lundi matin, en raison de l’Ascension, la Passion, la sépulture et la Résurrection du Christ. Quiconque l’enfreignait devait quitter sa patrie et faire un pèlerinage à Jérusalem. Cette même année, au concile de Montriond, on décide que la Trêve s’étend :
Durant tout l’Avent, jusqu’au premier dimanche après l’Epiphanie, et de la Septuagésime jusqu’au premier dimanche après Pâques.
A Narbonne, en 1054, c’est le coup de grâce :
du premier dimanche avant l’Ascension jusqu’à l’octave de la Pentecôte,
tous les jours de fête de la Sainte-Vierge,
les jours des fêtes des Apôtres, de saint Jean-Baptiste,
des saints Just et Pasteur, patrons du diocèse,
le jour de la saint Pierre-aux-liens, de la Toussaint,
tous les jours de Vigile
les jours des Quatre-Temps de septembre.
Autant dire qu’on ne faisait plus vraiment la guerre en pays chrétien, et que tout le monde s’en portait bien mieux.
Et alors ?
Pourquoi te raconter tout ça, mon cher scout ? Pour que tu te rendes bien compte de trois choses fondamentales :
L’importance de la parole donnée
Tout cela reposait sur le serment que les hommes de guerre faisaient devant l’Eglise. Serment de fidélité et de loyauté. Oh bien sûr, il ne faut pas idéaliser l’époque ! Il y avait des écarts, et la Paix de Dieu n’était pas parfaitement appliquée en tous lieux. Il n’empêche qu’elle le fut suffisamment pour changer l’avenir de l’Europe chrétienne.
Toi, quelle valeur attaches-tu à ce serment, à cette promesse que tu as prononcée un soir d’été devant tes amis, devant ton chef, ton aumônier, et devant Dieu ? Est-elle vraiment au cœur de ta vie ? Fais-tu par elle la trêve du péché du mercredi soir au lundi matin, et tous les autres jours ? Lorsque tu as revêtu cette croix séculaire sur ta poitrine et sur ton front, es-tu réellement parti pour la croisade de la BA et du service ? Où es-tu resté dans le donjon de ton égoïsme ? Alors ton uniforme ne serait plus qu’un costume de clown, grotesque et burlesque.
L’amour de l’Eglise et de ses sacrements
Te rends-tu compte que ces soldats bourrus, peu éduqués, qui parfois ne savaient ni lire ni écrire, avaient un profond respect pour les choses de Dieu ? Ces hommes dont le quotidien était de rire à la mort dans des combats sanglants, ils ployaient le genou et courbaient l’échine devant l’Hostie sainte et immaculée. Pour ne pas être privés de la Messe et de la très Sainte Communion, ils ont radicalement changé leur vie, ils ont renoncé à leurs plaisirs et à leurs excès.
Qu’il serait doux au Souverain Seigneur que nous aussi nous changions radicalement nos vies, pour ne plus être privés de Lui ! Ne crois-tu pas que le Monde changerait si nous savions, à leur exemple, ployer le genou devant notre Seigneur et notre Dieu ? si, balayant nos petits plaisirs égoïstes, nous savions nous conformer à Sa loi pour ne plus être privés de Sa présence ?
La nouvelle Paix de Dieu
Parce que quelques soldats se sont pliés à la volonté de l’Eglise, c’est toute l’histoire de la chrétienté qui a été bouleversée, et qui a pu vivre dans les siècles qui suivirent, sa plus belle apogée.
N’est-ce pas là ce que pensait le Père Sevin, lorsque, en 1931, il écrivait son article « Vers un Ordre scout » ? N’avait-il pas compris que ces hommes des premières lignes que l’on nomme Eclaireurs, devaient marcher vers les prémices d’un monde nouveau, qui permettrait, comme jadis l’honneur de nos chevaliers, comme jadis le sang des premiers martyrs, l’éclosion d’un monde un peu meilleur, où le Christ règnerait moins imparfaitement. La voilà notre grande croisade ! Comme au Xe siècle, n’attendons pas qu’un pouvoir central – politique ou religieux – ne donne le branle, et fasse tout à notre place. Ce n’est pas l’ONU qui établira chez nous la Paix de Dieu ! Nous sommes pleinement responsable de la société que nous forgeons. Ne nous appartient-il pas à nous, qui avons promis, d’observer avec une fidélité toute particulière cette loi qui fait de nous un peuple à part, de lever cette armée historique ? Une caste de soldats tous dévoués au service du prochain et de l’Eglise ? Savons-nous y consacrer toute notre vie ?
Les Eclaireurs de Dieu sont là. Sauront-ils être fidèles à leur serment ?
Aspects historiques d’après Gustave Schnürer, l’Eglise et la civilisation au Moyen-Age, Payot, Paris, 1935.