Un article en deux parties, extraits de la revue Le Chef n°92 et 93, avril et mai 1932, sous la plume de Louise Nourissat.
1 – Les Paraboles
« The aptness of simile is a most important point in speaking to children, just because they are so vividly imaginative and retain a mental impression so persistently »
The Scout Way, V. Barclay p. 66
Parmi les qualités du Chef il en est une que Miss Barclay signale comme fort importante dans l’art de savoir parler aux enfants : c’est celle qui consiste à savoir se servir de l’analogie.
« Nihil est in intellectu quod non primus fuerit in sensu » dit la philosophie scholastique. Et cela est vrai de toutes les connaissances que nous avons acquises si l’on met à part le cas de révélation surnaturelle. Tout homme pense avec des images mentales ; à plus forte raison l’enfant chez qui l’imagination est la faculté dominante.
Observez le petit garçon ou même l’adolescent qui écoute un sermon. Tant que le prédicateur reste dans le domaine des notions abstraites, ils écouteront avec déférence peut-être mais indifférence. Au contraire dès qu’il fera allusion à quelqu’événement de la vie quotidienne ou racontera une histoire il sera facile de se rendre compte combien leur attention est éveillée et combien ils paraissent plus « réceptifs » que précédemment.
A quoi cela tient-il ? Négligence ou incompréhension de l’importance des vérités religieuses ? Ces sentiments peuvent exister mais la plupart du temps ne sont pas les causes essentielles. Une grande partie de la difficulté éprouvée par l’enfant pour fixer son esprit sur les idées qu’il n’a pas acquises par l’expérience vient de ce qu’elles n’offrent pour lui aucune image mentale. Elles exigent donc de sa part un plus grand effort que pour penser simplement à celles que la vie de chaque jour aura pu lui révéler. Ex. : La sainteté dépend de la pureté d’intention qui anime nos actes. La vitesse de l’auto dépend du degré de perfectionnement du moteur et de ses rouages.
Aussi l’esprit du garçon, avec une paresse inconsciente, retombe-t-il sur le plan le plus simple : celui sur lequel il peut penser avec images.
Il y a donc là une tendance du garçon dont le Chef doit tenir compte. Une objection se présente. N’est-ce pas risquer de favoriser chez lui la paresse intellectuelle et supprimer chez lui l’effort de compréhension qui est pour l’intelligence un moyen de se développer ? A cela nous répondrons qu’il ne s’agit pas de supprimer l’enseignement des vérités abstraites à l’enfant mais de chercher à les présenter de la meilleure façon possible, celle qui permettra de les rattacher à la vie et en partant d’un plan connu d’en atteindre un autre moins connu. L’instinct d’imitation si développé chez le garçon suppose une analogie inconsciente certes mais existante. Le Chef qui sait en user pour donner de bonnes habitudes trouve là un motif de plus de se servir de l’analogie pour la formation intellectuelle et spirituelle.
Ce sens de l’utilité de la comparaison et des rapports des choses entre elles, pour faire pénétrer les vérités dans les âmes, Notre Seigneur l’a possédé au plus parfait degré.
Il suffit de lire attentivement la parabole de l’Enfant Prodigue, celle de l’Ami importun ou du Bon Samaritain pour en être convaincu.
— Aie confiance, tes péchés te seront remis — Apprends à te repentir comme l’Enfant Prodigue — Cherchez et vous trouverez — Imitez cet homme qui à force d’insister obtient ce qu’il veut — Aime ton prochain comme toi-même — Fais le Bon Samaritain.
Dans toutes les paraboles morales (laissant de côtés celles qui sont volontairement obscures comme les paraboles du Royaume de Dieu) ce sont les activités mêmes de la vie humaine qui interviennent comme cadre ou comme point de comparaison. Le voyage, le repas, le travail dans la maison ou hors de la maison, berger, vigneron, juge ou intendant. Ce sont aussi les sentiments qui s’épanouissent dans le cadre familial ou social : affection du père pour son fils, recours à l’ami, responsabilités confiées aux serviteurs, appel du plus pauvre au plus riche… Pourquoi Notre-Seigneur s’est-il servi de toutes ces images sinon parce qu’il savait que les hommes dont l’esprit est sans cesse préoccupé des problèmes de la vie matérielle aiment les vérités exprimées d’une façon concrète, facile à retenir. Peut-être aussi parce qu’il voulait que ces occupations mêmes soient un moyen de leur rappeler ses divins enseignements lorsqu’Il ne serait plus avec eux.
Le Chef qui voudra tenir compte de cette tendance pourra acquérir ce « sens de l’analogie » par le travail suivant :
— Grouper le plus d’images possible autour des vérités ou idées à inculquer au garçon (histoires, scènes, utilisation des objets qu’il rencontre à la Meute, au collège, à la maison).
— Avoir l’esprit en éveil pour pouvoir au cours d’une réunion, d’après l’endroit où il se trouve, la période de l’année liturgique, les incidents qui pourront arriver à la Meute, trouver immédiatement quelle vérité cela lui permet de mettre en valeur et d’amener de façon naturelle.
— Savoir créer au besoin ces incidents qui assureront une plus grande compréhension de la part du garçon. Ex : concours imprévu à la Meute, mobilisation de camp à la Troupe le jour de la fête de saint Joseph, occasion de comprendre l’obéissance absolue sans discuter parce qu’il y a de l’imprévu (cf. fuite en Egypte).
Avant de donner d’autres exemples et de monter quelles richesses le Chef peut tirer à ce sujet de la technique de la Meute et en particulier de l’observation de la nature nous parlerons des paraboles. Pourquoi ne pas utiliser davantage ces analogies toutes préparées qui offrent de plus l’avantage de pouvoir être « mimées » de donner au garçon la joie de faire passer dans l’action la vérité entrevue, et au Chef le moyen de se rendre compte de ce qui a été compris.
L’exécution des paraboles mimées pour avoir toute sa valeur éducative demande certaines conditions :
1) La Meute doit avoir une connaissance minimum de l’Evangile et de la vie de Notre Seigneur. Le Chef doit connaître non seulement le texte de la parabole mais l’occasion à laquelle elle a été racontée (relire à propos du Bon Samaritain, Luc ch. 10, v. 25 à 38).
2) Il doit pouvoir tenir sa Meute en main. Les représentations sont toujours une source de joie et d’excitation et il faut que la Meute soit assez disciplinée pour pouvoir en tirer autre chose qu’une joyeuse pagaille.
3) Il doit aussi savoir que le rire est chez le garçon d’âge Louveteau parfaitement compatible avec la compréhension profonde. Ne pas prendre au tragique un fou rire déclenché par la maladresse du Bon Samaritain pour hisser le blessé sur son âne.
4) Tout en cherchant à amener les Louveteaux à jouer spontanément la parabole ne pas craindre, surtout au début de les aider. Pratiquement la meilleure méthode paraît être celle-ci. Le Chef raconte la parabole en faisant ressortir son caractère, indique à quel propos elle a été racontée par Notre Seigneur, désigne les personnages, fixe les déguisements et le matériel nécessaire, interprète même au besoin un rôle lui-même. La parabole est répétée une ou deux fois, puis jouée devant l’aumônier. La sizaine qui a le mieux joué ou donné les meilleures réponses gagne des points pour le concours mensuel, ou ce qui est mieux, une image de la parabole pour décorer le coin de sizaine.
Dès les premières représentations il faudra essayer d’amener les Louveteaux à attacher plus d’importance à la manière dont ils jouent et aux paroles qu’ils prononcent plutôt qu’à la manière dont ils se déguisent, bien qu’il y ait là un moyen de développer chez eux le goût de l’esthétique et de la couleur locale. Il faudra que le Chef encourage la simplicité, le naturel. Après avoir donné cette première impulsion à la Meute, il cherchera à donner progressivement beaucoup plus d’initiative aux sizeniers en leur laissant le choix des acteurs et des déguisements, les répétitions s’ils les jugent nécessaires. Mais il paraît préférable qu’il ait pris toujours soin auparavant de raconter lui-même la parabole pour s’assurer que la scène mimée, en se conformant du moins pour les lignes essentielles à l’enseignement moral que doit donner la parabole, ne pourra être interprétée de façon tout à fait différente par les Louveteaux qui ne la connaissent qu’à moitié.
Quelles idées guideront le Chef dans son choix des paraboles ? Celle d’une vérité à appuyer parce que c’est celle qu’il veut donner à sa Meute au cours de l’année (sens de l’argent, amour du prochain, etc.). Celle d’une vérité à mettre en lumière parce qu’une conversation de quelques Louveteaux entre eux vient d’en montrer le besoin.
« Si je rencontrais un Allemand en panne sur la route, je le laisserais se débrouiller tout seul ». (Exemple authentique après lequel un sizenier fit de lui-même la mise au point en disant à son Louveteau qu’il fallait faire comme le Bon Samaritain). Celle d’une activité à souligner : visite d’une famille pauvre, avant ou après, parabole de Lazare et du mauvais riche, etc. Celle du cadre qui s’y prête le mieux : parabole des serviteurs vigilants pour terminer un feu de camp, de l’ami importun, de l’économe infidèle au local, de la brebis perdue, des ouvriers de la vigne en plein air, pour ne citer que quelques exemples.
Et s’il nous est permis — après avoir essayé de donner à nos Louveteaux l’amour de l’Evangile et le sens de la beauté des paraboles — d’exprimer un désir, ce sera celui qu’une fois montés à la Troupe ils y découvrent encore des trésors nouveaux. Exécution plus parfaite illustrant chaque camp et marquant de ses traces profondes non seulement l’âme des campeurs mais celle de ceux qui dans l’ombre se seront rapprochés de la flamme.
Pour illustrer cet article, voici donc quelques plans de réalisation de paraboles.
2 – Les étoiles et les badges
Nous avons déjà dit combien il est important, pour obtenir l’attention et la compréhension du garçon, de savoir lui présenter une idée en la rattachant à des images.
Tout en respectant le but pour lequel les épreuves d’étoiles ou de badges ont été choisies comme travail à la Meute, et tout en les enseignant comme elles doivent être enseignées, ne peut-il être permis au Chef de Meute de s’en servir comme d’un moyen pour faire saisir au garçon une vérité qui présente quelque analogie avec le travail déployé ou l’objet de ce travail d’étoile ?
Le fait d’avoir gagné une épreuve d’étoile ou de badge suppose chez le Louveteau non seulement une connaissance acquise et peut-être une habitude prise, mais tout un ensemble d’impressions et d’images rattachées à une idée centrale ex. : idée de secourisme, de drapeau, de feu, etc. Il peut y avoir là pour le Chef de Meute une richesse à utiliser au point de vue de la formation religieuse du Louveteau. Nous n’en donnerons que quelques exemples notés au hasard des circonstances, laissant à chacun le soin de découvrir plus et mieux…
Remises d’étoiles : Comme les Mages après une longue marche en suivant l’étoile ont trouvé l’Enfant Jésus, la 1ère ou la 2e étoile (acquise en un temps plus ou moins long) doivent faire trouver Dieu au Louveteau dans le service du prochain (utilisation des nœuds, travaux domestiques, etc.).
Hygiène : Savoir respirer, faute d’air il y a anémie.
Savoir prier (respiration de l’âme). Faute de prière, il y a faiblesse.
Se laver, se nourrir.
Se débarrasser de ses fautes, par la Pénitence, se nourrir par la Communion.
Clochepied : Savoir sauter sur un pied.
« Il vaut mieux pour toi qu’un seul membre périsse que ton corps tout entier aille dans la géhenne » (Mat. ch. 5, 30).
Gymnastique : Pour assouplir et fortifier.
Sacrifices quotidiens pour fortifier l’âme.
Orientation : S’orienter : se tourner vers l’Orient.
Eglises tournées vers l’Orient, vers le Christ. Savoir s’orienter dans la vie, se tourner vers le Christ.
Secourisme : Bon Samaritain.
Travail manuel : Savoir faire quelque chose de ses dix doigts.
Peine que cela donne. Admirer œuvre de Dieu qui a tout fait avec rien.
Message : (jeu et non épreuve). Savoir transmettre un message.
« Le message du Christ c’est que vous vous aimiez les uns les autres » (saint Jacques). Savoir le transmettre par sa vie ici-bas.
Feu : Savoir préparer, allumer et entretenir un feu.
« Je suis venu pour allumer un feu sur la terre. Que puis-je sinon désirer qu’il s’allume ? » Bois de la B.A. quotidienne qui entretient le feu de la charité.
Travaux domestiques : Savoir se rendre utile chez soi (cirer les chaussures, etc.)
Après avoir lavé les pieds à ses Apôtres, Notre Seigneur déclare « Je vous ai donné l’exemple… Vous êtes heureux pourvu que vous le pratiquiez » (Jean ch. 13, 15, 17).
Celui qui donnera seulement un verre d’eau pour l’amour de Dieu sera récompensé.
Badge de Guide : Savoir indiquer le chemin.
« Si quelqu’un veut t’obliger à faire mille pas avec lui, fais en deux autres mille. » (Math. ch. 5, 41).
Collectionneur : Etiqueter et coller soigneusement les timbres.
Badge qui paraît facile à gagner mais qui exige de petits efforts minutieux. Fidélité aux petites choses fait belle vie.
Artiste : Le dessin à l’image du modèle.
L’homme et la création à l’image de Dieu — y chercher ressemblance.
Tisserand : Savoir tricoter.
« Voyez les lys des champs ils ne travaillent et ne filent, et Salomon n’est pas vêtu comme l’un d’eux. » (Math. ch. 6, 18).
Bon joueur : Etre bon joueur dans l’équipe de Dieu.
Un danger à éviter : que le Chef de Meute encouragé par son succès et par l’attention qu’il lit sur le visage des Louveteaux, ne se laisse emporter à dix ou quinze minutes de palabres qui pourraient avoir des résultats aussi « inattendus » que regrettables…