Nous reproduisons ici l’excellente préface rédigée par le Père Jacques Sevin pour son carnet de chant. De l’âme scoute à la manière de chanter, ce texte est à lire attentivement… et à mettre en pratique.
Les Chansons des Scouts de France, Spes, Paris, 1930
Voici, mes fils, un troisième recueil de chansons. Avec un grand nombre de morceaux encore inédits, il renferme, en un seul volume, les Chants de la Route et du Camp et les Chansons des Scouts de France.
Nous conserverons ce dernier titre : c’est celui qui exprime le mieux la nature de l’ouvrage et l’intention de l’auteur.
Ces chants sont vôtres en effet. Composés en vous regardant vivre votre belle vie franche et joyeuse, s’ils vous plaisent, c’est que vous vous y retrouvez vous-mêmes et que vous pouvez dire d’eux : ils sont scouts.
C’est qu’en effet, avant d’être moyen de formation artistique, – ce que des scouts n’ont pas le droit de négliger – ce qui par hypothèse ne saurait être le partage de la foule, – le chant est l’expression même de la vie, l’explosion de l’âme qui, sous une impression plus violente, de joie, de douleur ou de simple bien-être, se répand au dehors, comme pour se raconter à elle-même et aux autres, et pour inviter tout ceux qui l’entourent à partager son émotion joyeuse ou douloureuse.
Traduction extérieure de la vie, le chant est naturellement aussi l’expression d’une âme collective. Toutes les corporations toutes les professions ont leurs refrains traditionnels : chants de métiers, chants de soldats, chants de matelots de la marine à voiles… La vie scoute apparaissant sur notre terre de France, la chanson scoute devait éclore. « Pourquoi donc les scouts veulent-ils avoir leurs chants à eux ? a –t-on dit. Ne peuvent-ils se contenter du vieux fonds de notre terroir ? » Certes, ils n’ont garde de l’ignorer, témoin l’ardeur avec laquelle ils se sont engagés dans la campagne pour la restauration du chant populaire ; mais ils veulent aussi quelque chose qui leur parle d’eux-mêmes, et de leur vie, et de leur idéal, qui chante tous ces espoirs, tous ces désirs généreux qui sont ce qu’ils ont de meilleur et qui traduisent cette nuance très particulière de l’âme française qui s’appelle l’âme scoute, l’âme scoute de France. N’ayant pas pour but l’apostolat de la chanson en soi, mais l’apostolat du scoutisme par la chanson, nous ne sommes pas d’avis que les paroles importent moins que la musique et que « ce qui ne vaut pas la peine d’être dit, on le chante. » Pour nous, ce qui n’est pas à dire est encore moins à chanter. Aussi nous efforcerons-nous de choisir la mélodie la plus pure, la plus parfaite possible, non par simple scrupule d’art, mais parce que cette mélodie doit être la parure qui fera triompher les idées et les sentiments qui nous sont chers.
Il se trouve que ces chants, nés de la vie scoute, la produisent à leur tour, soit que, éveilleurs d’idéal, ils inspirent aux étrangers qui nous entendent le désir de partager une âme qui se révèle si simple et si claire, soit qu’ils nous aident à demeurer tels que, le jour de notre Promesse, nous avons résolu de devenir. Les voix les plus autorisées ont bien voulu nous dire que notre premier recueil avait « fait » la Fédération. Admettons que tout éloge, pour flatteur qu’il soit, renferme une part de vérité. Mais la Fédération, – pardon, l’Association, – est toujours à faire, le scoutisme est un feu qui doit s’entretenir perpétuellement, et c’est pourquoi de temps à autre, il est bon qu’une nouvelle poignée de chants vienne en ranimer la flamme. Sinon, si, par respect humain, par une sorte de snobisme à rebours, nous en arrivions à ne plus nous chanter nous-mêmes, c’est la flamme elle-même, je veux dire l’esprit scout, qui infailliblement baisserait et risquerait de s’éteindre.
Tout ce qui est beau et français est nôtre, et doit, sans préoccupation d’école, sans préjugé artistique ou littéraire, trouver place à nos fêtes et nos veillées. Ici, comme en toute discipline, pensons nationalement, internationalement, catholiquement. Mais est-il pour nous plus belle chose, et plus catholique, et plus française que ce scoutisme auquel vous et nous, nous avons donné la vie ?
Chantons donc bellement et scoutement, mes fils, notre scoutisme.
Vous y aider est l’unique ambition de ce recueil.
Ajouterai-je quelques mots sur la « manière de s’en servir ? » Chanter scoutement, ai-je dit. Or, chanter, ce n’est pas… brailler à plein gosier comme si le volume de notre voix était la mesure de notre enthousiasme. Il y faut et la mesure et la nuance, et la variété. Il faut, et ceci s’applique particulièrement aux solos, dire nos chansons. Mais ici, vous n’avez que faire de mes conseils d’amateur. Si vous voulez savoir comment doivent chanter des scouts, et comment on le leur apprend, allez entendre l’Alauda.
Rappelons cependant que nous sommes des campeurs. Notre salle d’audition, c’est la clairière ou la vaste lande. Nous ne devons donc pas compter sur les richesses de l’accompagnement pour compenser la pauvreté des voix ; d’où la nécessité d’apprendre à chanter en parties si nous voulons étoffer nos ensembles. Les faits sont là pour prouver que c’est possible, facile même avec un peu de bonne volonté.
Ensuite, campeurs, donc marcheurs, nous devons connaître la technique spéciale de la chanson de route, qu’on n’apprend point en restant assis, mais en marquant le pas, et qui exige, pour ménager les poumons, des pauses de durée égale entre les couplets, ce que trop souvent l’on néglige.
Enfin, si le carnet de chansons est ridicule entre les mains d’une troupe en marche, répétons qu’il ne l’est pas moins, au feu de camp, sous le nez d’un scout qui ânonne un morceau dont il ignore les paroles en braquant sur la page blanche l’œil rond de sa lampe électrique. Diction convenable, émotion et poésie sont également impossibles en pareil cas. Pour chanter avec cœur il faut chanter par cœur.
En tout, beauté, art simple, perfection du détail, seule devise digne de l’ « ouvrier » scout, et c’est là mon dernier mot.
A vous tous donc, Chefs et Cheftaines, Routiers, Scouts et Louveteaux, j’offre ces chansons en vous remerciant de me les avoir inspirées. Puissent-elles être pour vous les messagères de la Joie Scoute, de cette joie que depuis dix ans j’éprouve, toujours croissante, à vous servir.