Certains disent que l’éducation est une vocation. Peut-être. En tous cas, elle demande un don réel et sincère, entier. La société moderne en a fait un métier, mais ne nous y trompons pas. On ne fait pas de l’éducation. On est éducateur. C’est par la totalité de ce que nous sommes que nous éduquons, bien plus que par ce que nous disons, par les jeux que nous organisons, ou par les mauvaises recettes que nous appliquons. Elles sont toujours mauvaises les recettes ! Ce qui importe, c’est le côté artistique de la chose. Il nous faut toujours trouver, induire le bon dosage, qui est différent pour chaque enfant, différent selon les périodes et les lieux où nous nous trouvons. L’éducation est aussi affaire de circonstances. On peut profiter des expériences des autres, mais partout, ce sera différent.
A chacun d’assimiler, de faire sien. Il y a toujours une part de solitude de l’éducateur devant l’enfant. C’est à lui et à lui seul que le moment, que la relation appartiennent. Voilà pourquoi la première mission de l’éducateur consiste à apprendre à être. On n’éduque pas après dix jours de formations en stage BAFA. C’est l’histoire d’une vie. Il faut se réaliser soi-même. On connaît l’adage : « on ne donne que ce que l’on a ». Et pourtant, il faudra accepter de commencer à éduquer même si l’on n’est pas soi-même parfait, si l’on n’est pas soi-même devenu. Etre arrivé ne nous intéresse pas. L’éducateur sait se remettre en question, il apprend sans cesse, sur lui-même et sur les autres. A défaut d’être, il prend la route du devenir.
Rien ne sert de savoir où l’on s’arrête : il faut savoir où l’on va. Toute éducation suppose une philosophie, une anthropologie. Il faut avoir pris un peu de recul, avoir une vision d’ensemble. Il faut voir loin, voir la société de demain, voir surtout la fin de tout homme. Se faire une idée précise de ce que doit être l’homme vraiment homme.
Si nous voulons, à partir des enfants qui nous sont confiés, faire des hommes accomplis, comment pourrait-il en être autrement ? Comment les guider sur une route dont nous ne connaissons pas la destination ? Comment les guider sur une route que nous n’aurions jamais emprunté nous-mêmes ?
Alors, l’éducateur doit faire preuve d’optimisme et respecter la liberté de l’enfant. Dès la naissance, la nature du petit d’homme aspire au bien et à l’infini, il veut aller à Dieu. Il veut apprendre et croître en sagesse comme en âge. Mais il est aussi une nature blessée par la tache originelle. Saint Paul lui-même le confesse : « je fais le mal que je ne veux pas et je ne fais pas le bien que je veux. » Alors l’éducateur, avec patience, doit accomplir sa mission : construire un environnement favorable où il pourra créer une proximité avec l’enfant, et par suite lui montrer le chemin des vertus et le soutenir lorsqu’il lui faudra dominer ses passions.
Ainsi l’enfant qui veut apprendre à conduire son attelage. On peut lui offrir un petit fiacre et le laisser se débrouiller seul. On peut l’asseoir à côté de soi, et prendre les rênes à sa place. On peut aussi l’installer dans un joli carrosse, sur une grande route et s’asseoir à ses côtés, sans rien dire. L’enfant prend les rennes et avance, il apprend. Lorsque deux chemins se séparent, et que nous le sentons inquiet, ne sachant quel choix poser, nous lui montrerons d’un signe de tête discret la direction la plus sûre. L’aura-t-il vu lui-même ? Il sera persuadé d’avoir été seul à choisir. Et puis, lorsque, parfois, les chevaux s’emballeront, lorsqu’il ne parviendra plus à diriger, que tout semblera s’affoler, alors seulement nous prendrons les rênes et nous rétablirons le calme, pour mieux lui redonner le contrôle. Et lorsque, après avoir parcouru tant de routes ensembles, nous le sentirons prêt, alors nous descendrons doucement, sans même qu’il s’en aperçoive. Et nous le laisserons libre.