Méditation tirée de « La Clef du Bonheur ! », retraite de 8 jours, par le RP de la Chevasnerie, sj.
«Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur.» Phil. IV 4
La joie spirituelle est un vrai don du Saint-Esprit.
Et comme elle fait du bien.
C’est si bon d’être joyeux et de voir, de rendre les autres joyeux !
Saint François de Sales avait raison : «Un saint triste est un triste saint !»
On n’a pas le droit d’être triste, quand on sert le Bon Dieu.
Mais il ne faut pas confondre la vraie joie avec ses contrefaçons : la dissipation par exemple.
La joie spirituelle, même la plus profonde et la plus vive reste toujours équilibrée : elle peut fort bien exister sans être « sentie », car il suffit qu’elle soit « voulue », comme notre foi, comme notre contrition, comme notre amour de Dieu.
Car c’est de Lui qu’elle vient, comme elle remonte vers Lui, source unique et suprême de tout optimisme, de tout bonheur, de toute joie !
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Il est donc bien clair que le motif de notre joie spirituelle ne peut être notre santé.
Si nous ne pouvons être joyeux que les jours de parfaite santé, combien d’entre nous seraient tristes plus de trois cents jours par an !
Il y a des malades qui n’ont pas quitté leur lit ou leur fauteuil roulant depuis vingt ans, et dont les pauvres visages amaigris ou purulents rayonnent la joie.
Oh ! il est bien certain qu’il est plus difficile d’être et de paraître joyeux quand on souffre ! Tout nous agace alors, et les meilleures intentions de nos garde-malades, leur présence comme leurs absences, le rideau qu’on tire, la lumière trop vive qu’on laisse entrer !…
C’est pourtant le moment ou jamais d’être joyeux et ce n’est pas impossible… pourvu que le motif de notre joie soit supérieur à notre santé.
« Je les ai vus sourire ! » s’écriait stupéfait un païen ; en rentrant des jardins de Néron, où les martyrs chrétiens flambaient comme des torches… en souriant au Christ !…
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Ce motif de notre joie spirituelle serait-il le succès ?
Mais alors nous pourrions être sombres les jours d’échec ? Et parce que nos entreprises, nos affaires, nos travaux ne réussissent pas selon nos désirs, ou nos rêves, nous aurions le droit de nous décourager, d’être désagréables pour nous-mêmes… et vis-à-vis des autres ?
Par exemple !
Je veux bien croire que jusqu’ici vous n’ayez encore connu que des succès. Tant mieux, ou tant pis ! En tous cas, les déceptions, les déboires, l’insuccès, sous une forme ou sous une autre, pourraient un jour vous visiter.
Et ce jour-là, vous auriez le droit d’être tristes ?
Bien sûr que non ! Au contraire ! Ce sera « le passage du Seigneur. » N’y songez pas d’avance : cette perspective vous troublerait inutilement. Mais le jour de la visite du Maître sanglant, faites-Lui bon visage : souriez-Lui, soyez joyeux. Et vous le pourrez si le motif de votre joie est plus solide que les succès ou les insuccès humains.
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Ce motif ne serait-il pas la pureté de notre âme ?
De fait, cette cause de notre joie serait moins matérielle. Nous serions joyeux parce que notre journée s’est passée sans chute, sans aucun accroc, ou parce que nous n’avons jamais commis de faute grave, d’impureté par exemple. Les religieuses de Port-Royal non plus : « Pures comme des anges », disait-on d’elles, « mais orgueilleuses comme des démons », ajoutait-on aussitôt !
Qu’il est donc fragile ce motif de joie !
Vous souvenez-vous de ce que disait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus ? « Si je reste bien petite, le Bon Dieu me laissera faire des petites sottises jusqu’à ma mort ! »
Est-ce que les parents se fâchent des petites «bêtises» de leurs enfants ? Ils les grondent un peu « pour la forme », mais en sachant très bien qu’ils recommenceront à la prochaine occasion, et qu’eux, les parents, pardonneront encore ces enfantillages sans méchanceté ni malice, tant que leurs enfants resteront des « tout-petits ».
Est-ce que nos tristesses d’âme ne viendraient pas de ce que nous voulons être trop grands ? Nous revoyons nos fautes passées, accusées, pardonnées vingt fois, et nous manquons de confiance en la Miséricordieuse Bonté ! Ou bien, nous nous dépitons ne n’être pas aussi purs, aussi parfaits que le comportait notre dernier plan de retraite : « Nous avions rêvé si beau, si grand ! »
Et nous avions raison ! Seulement, nous avons oublié que pour réaliser les « beaux », les « grands » projets de conquête spirituelle, il faut se faire très humble, très petit : accepter de tomber bien des fois par jour, pourvu qu’on ne perde pas courage, qu’on se relève et qu’on reparte. Les chutes d’un petit n’ont rien de tragique. On en rit !… L’enfant ne se fait pas de mal en tombant : il est si petit !
Au contraire, on s’inquiète en voyant tomber une grande personne : on court la relever : elle a dû se blesser !
Pour ne pas « nous faire trop de mal » en tombant « sept fois par jour, comme le juste lui-même » dont parle la Sainte Ecriture, restons très petits. D’ailleurs ce ne sont pas ces faiblesses, ces étourderies d’enfants qui blessent le Cœur de Dieu, mais les fautes bien volontaires, mortelles ou vénielles, d’habitude, celles qu’on commet, en pleine conscience parce que « cela nous plaît », et « qu’après tout nous sommes bien libres d’en agir à notre guise ! »
Les petits ne parlent ni n’agissent ainsi. Et quand ils tombent, ils se relèvent bien vite, demandent pardon, sourient… et repartent sans se replier sur leurs chutes !
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Non, ne fondez pas votre joie spirituelle sur votre santé, ni sur vos succès, ni même sur votre pureté d’âme conservée ou reconquise, mais sur la touchant et si douce réalité « que le Bon Dieu est notre Père, et que nous sommes ses enfants !» – Splendide vérité d’une incomparable richesse de conséquences, trésor divin que nulle maladie, nul insuccès, nul voleur ne peut nous ravir.
Mais songez-y donc !
Dieu est notre Père : un Père présent à toutes les créatures qu’Il n’a faites si belles que pour charmer le regard de son enfant. Il est le père infiniment délicat et bon, affectueux, attentif, prévenant, dont l’incomparable sollicitude nous enveloppe, qui prévient notre réveil pour accompagner chacun de nos pas « de l’aurore au couchant » et protéger encore les heures de notre sommeil !
Le Père offensé, outragé par cet enfant qu’Il a comblé… « Le Père qui livre son Fils unique » pour réparer !
Jésus devenu mon frère, mon Ami !
Marie, ma Mère !
Le Ciel ! « La Maison » où je suis aimé, attendu : où la moindre souffrance, le plus petit sacrifice sera récompensé au centuple. « La Maison » où je reverrai les miens qui m’ont déjà quitté, dont les pauvres corps reposent en terre, mais dont les âmes me suivent, prient pour moi et m’attendent !
« La Maison » où nous retrouverons heureuses, transformées, les chères âmes de nos apostolats :
- Celles qui nous ont écoutés et celles qui nous ont lus, celles qui nous ont attendus et celles que nous avons poursuivi des années !
- Ames d’élite, formées pendant des mois, avec l’espoir de les conduire un jour jusqu’à la sainteté,
- Ou pauvres âmes relevées cent fois et cent fois retombées ! Ames de rencontre, qu’au hasard providentiel des visites ou des voyages, une parole, un service, un sourire a touchées.
- Ames d’enfants, âmes de jeunes, âmes de prêtres, âmes religieuses, à qui nous devons mille fois plus que vous ne nous devez !
Vous toutes, âmes pour qui nous avons veillé, prié chaque jour et tant souffert sans y penser parce que nous voulions vous conquérir au « Seul », âmes, dont l’envol nous a ravis, ou qui tant de fois nous avez fait peur, nous vous retrouverons toutes, n’est-ce pas dans « La Maison » ? Qu’il fera bon vous féliciter alors dans la Maison de Notre Père !
Non, « l’œil de l’homme n’a pas vu, son oreille n’a pas entendu, son coeur n’a jamais goûté » les merveilles que le Seigneur y réserve à ses élus, à ses enfants !
Car là, je verrai Dieu Face-à-face… « tel qu’Il est ! » Je l’aimerai comme Il m’aime !
* * *
« Notre Père qui êtes aux cieux », votre enfant connaît maintenant la Clef du bonheur !
Il sait maintenant que pour entrer dans votre Maison, où l’on est éternellement heureux avec Vous, par Vous, en Vous, il suffit de rester ce que nous sommes par votre grâce, vos tout-petits enfants !
Oui, Père, vos enfants veulent :
«Tout ce que Vous voulez,
Pour Vous faire plaisir».
Vos enfants qui souffrent sans doute, mais qui sont tout heureux du bonheur de votre Fils Jésus-Christ, le Frère Aîné.
Vos enfants qui « pour Vous plaire » mettront désormais leur bonheur à « faire plaisir au cher prochain».
Vos petits enfants qui veulent s’oublier pour que Votre règne arrive en eux et autour d’eux en Vous faisant connaître et aimer, Vous Père, et Celui que Vous avez envoyé : Jésus-Christ !
Père, « ne nous laissez pas succomber à la tentation » de devenir des « grands » mais gardez-nous toujours comme des tout-petits, et nous serons joyeux, de cette joie filiale, que nul ne nous ravira, car elle est fondée sur votre Coeur de Père.
Ainsi soit-il !