« Les scouts ? des débrouillards ! ils savent faire mille noeuds, et allumer du feu sans briquet… moi, quand je les vois vivre dans les bois, je suis… blu-ffé ! J’ai vu un camp cet été, leur table était superbe… » Heureux es-tu mon scout, si on peut parler ainsi de toi. L’habileté est bien le deuxième but du scoutisme, et gloire à toi si tu sais faire mille choses de tes doigts.
« Allons, soyons sérieux ! me dira ce pédagogue sérieux, engoncé dans son costume avec un rictus moqueur… vous êtes bien gentils de savoir faire la cuisine dans les bois, mais ce qu’il faut à notre pays, ce sont des chefs ! ce n’est pas avec vos bricolages qu’on sauvera la France ! »
C’est vrai… d’habitude, on dit que le scoutisme est une école de chefs… alors nous nous serions trompés ? Regarde le chef d’une grande entreprise. Michelin par exemple : il n’a pas les mains dans le cambouis. Il pense, il gère, il organise, il délègue, il signe des chèques, il donne des ordres… Il a des idées ! Certes. Mais son idée, que vaut elle si elle n’est pas reliée à l’humble réalité ? rien ! un rêve, une chimère, une utopie, une illusion…
C’est un des grands maux de notre société : ceux qui dirigent ne sont plus en contact avec le réel. La première qualité d’un chef, c’est la compétence. Son savoir-faire lui donnera du prestige, bien sûr, mais lui permet surtout de savoir ce qu’il dirige, et d’avoir un jugement plus juste. Reprenons l’exemple de Michelin. Ne crois pas que le PDG sache manier chacune des machine de l’usine, qu’il connaisse toutes les caractéristiques du caoutchouc ou tous les rouages comptables de son entreprise. Mais il doit avoir un connaissance suffisante des différentes branches d’activités de son ressort pour être en mesure d’en organiser l’ensemble. Tu saisis ?
Et puis surtout, ne te laisses jamais prendre par cette fausse idée qui estime que les intellectuels sont supérieurs aux manuels. Ceux qui veulent nourrir leur esprit doivent savoir user de leurs mains. Il serait temps qu’en France nous redonnions ses lettres de noblesse à l’apprentissage et aux filières professionnelles.
Profitons-en pour parler un peu de ton avenir. En cette fin d’année scolaire, on parle d’orientation, du nouveau bac… Nous vivons dans un monde technique et informatique qui donne souvent le vertige. Ne te dirige pas sans réfléchir vers une filière générale dans tes études. Pense à l’apprentissage, aux filières techniques. Le pays manque de bons artisans, de bons paysans aussi. Ce ne sont pas toujours des métiers faciles, mais ils procurent beaucoup de joie, un rythme de vie souvent plus sain, et de vraies satisfactions. Les badges, par lesquelles tu peux te spécialiser dans l’une ou l’autre technique, peuvent et doivent t’aider à choisir une profession.
Il est une autre peste qui détruit notre civilisation : le virtuel. Tes jeux, tes amis, ton encyclopédie, ta carte… tout maintenant se trouve derrière un écran. Tout est factice. Le sujet nous emmènerait trop loin ici, mais demande à ton aumônier ou à ton chef. Il t’expliquera les effets néfastes de ces cyber machins qui t’imposent des nouveaux modes de pensées, qui brident ton esprit, qui t’isolent des autres, et surtout de Dieu. N’est-tu pas plus serein est plus proche de ton Créateur lorsque tu froissartes ton mi-bois que lorsque tu flirtes sur « Insta » ?
Nous disions que l’esprit se nourrit du savoir-faire. En effet, tu apprendras bientôt en cours de philosophie que «tout ce qui vient à l’esprit passe par les sens»… c’est une grande leçon de saint Thomas d’Aquin. Tu verras que tes cinq sens nourrissent ton imagination, ta mémoire, ta volonté et ta raison. Mais pour le moment, voyons tout simplement ce que tu as fais l’été dernier, que tu feras encore dans un mois. Souviens-toi du camp… les installations, le concours cuisine, la topographie… je suis sûr que tu as mille anecdotes qui te viennent à l’esprit. Ce feu que tu n’arrivais pas à allumer sous la pluie, cette mauvaise humeur de la patrouille parce que le cuistot avait loupé son repas, ce « raccourci » qui vous a fait marcher dix kilomètres de plus, cette table qui ne tenait pas parce que ton mi-bois avait du jeu… et ce jeu perdu parce que tu n’as pas su déchiffrer le message… Que de souvenirs, dont tu rigoles bien maintenant. Tu aurais aimé faire mieux, et c’est une bonne chose. Mais finalement, l’essentiel, ce n’est pas tant que la table tienne sur ses pieds. L’essentiel, c’est ce que tu as appris. Tiens, attrapes une feuille blanche et un crayon. Dépêche toi, on t’attends. Si, si… j’insiste. Vas-y.
Tu y es ? Fais un tableau avec deux colonnes. Dans la première, une liste de vertus, ou à l’inverse de passions et de défauts, toutes celles qui te passent par la tête : patience, persévérance, maîtrise de soi, goût du travail bien fait, prudence, gourmandise, colère, apaisement des passions… Dans la colonne en face, je suis sûr que tu sauras inscrire plusieurs des anecdotes que nous évoquions. Tu vois comme les petites circonstances très techniques, très pratiques du camp éduquent ton âme ? Tu vois toute l’utilité de cette vie dans la nature pour ta vie spirituelle ? Au camp, les occasions sont particulièrement fréquentes pour te donner de bonnes habitudes, pour renouveler souvent des petits actes qui t’élèvent. C’est de ces petites habitudes que naissent petit à petit les vertus. Avais-tu bien réalisé comment la topographie fait grandir ton âme ?
Alors ? compris ? tu vois tout ce qui se cache derrière ce but « habileté » ? Cela va bien plus loin que de savoir faire quelques nœuds. Sache te rendre capable, utile. Sache utiliser tes mains pour servir ton prochain, mais aussi pour servir ton esprit, faire grandir ton âme et devenir un bon chef plus tard.
Dans ta profession, es-tu bien décidé à faire preuve d’excellence et de savoir-faire ? à maîtriser ton sujet à fond et non pas « à moitié » ?
Comment te prépares-tu à ton avenir, aujourd’hui ?
Que penses-tu d’un père de famille qui ne saurait pas entretenir sa maison, accrocher un tableau au mur, ou réparer une panne électrique ?
Peux-tu affirmer sans rougir que tu aimes le travail bien fait, que tu as horreur de l’à peu près et du travail bâclé ?
Saint Paul, dans toute son œuvre de prédication, tenait à gagner lui-même sa vie. Il cousait des toiles de tente, souvent la nuit.
Selon le même exemple, le père Sevin, qui voulait créer des religieux scouts, voulaient qu’ils gagnent eux-même leur vie pour ne pas être à la charge des autres.
Les moines et religieux ne font pas autre chose.
Cette famille qui a besoin d’un coup de main pour son déménagement… la chapelle qui a besoin d’être repeinte… cet automobiliste en panne au bord de la route… Tu voudrais bien les aider… mais tu ne sais pas…
Rends-toi capable pour servir ! Pas de BA avec des beaux sentiments !