Durant les premières décennies des Scouts de France, la société était beaucoup plus conventionnelle sur les tenues vestimentaires que l’on pouvait porter en public, et les coutumes scoutes ont interpelé la bonne société à plus d’un titre, en témoigne le fameux chant du père Sevin, « Les objections du VP » :
Ils ont des fichus à leur cou :
On les prend pour des demoiselles !
Leurs chauss’s ne tiennent à rien du tout,
C’est la ruine des marchands d’bretelles.
La culotte courte était portée par tous les chefs à cette époque, bien qu’il était assez inconvenant pour un homme de montrer ses gambettes, d’autant plus que les chefs d’alors étaient souvent plus âgés que ceux que nous connaissons aujourd’hui. Short, comme les scouts, ou pantalon ? Le débat fait encore l’actualité dans certaines troupes.
Dans Le Chef n°61 de mars 1929, un plaidoyer de huit pages pour le maintien de l’usage de la culotte courte est publié, entre boutades et réflexions profondément pédagogiques, voire spirituelles… Nous ne résistons pas au plaisir de vous conter ceci. Tout commence par une simple lettre, dans Le Chef n°57, en novembre 1928.
La tenue de ville des chefs est-elle convenable ?
A l’occasion du nouvel-an. Grande réception dans une ambassade à Paris où se présentent deux commissaires bien connus à Paris, en culotte courte : on les reçoit. Néanmoins toutes les hautes personnalités présentes les ont un peu regardés de travers à cause de leurs genoux nus et pourtant ils représentaient le mouvement Scout de France.
Le costume scout (chemise et culotte courte) est le seul pratique au camp, quoiqu’il manque de poches, mais en ville, pour les réceptions ou autres, n’y aurait-il pas lieu de créer un costume de ville, avec lequel les chefs puissent aller partout.
Au dernier dîner interfédéral de la Saint-Georges, la plupart des chefs scouts de France nommés portaient la veste et leur tenue était plus chic que celles de certains chefs d’autres fédérations venus avec une chemise à manches coupées (la seule pratique au camp). Il m’a semblé que pour une réunion officielle scoute la veste est de rigueur. J’ai beaucoup admiré le costume des chefs scouts marins : avec ce costume on peut aller partout, même dans un salon. En est-il de même avec le costume des chefs actuel ?
Qu’en pensent mes frères chefs ?
C’est signé M. Foubert, Scoutmestre à Saint-François de Sales. Voilà quelques lignes qui ne vont pas manquer de susciter quelques réactions…
Dans Le Chef n° 59, en janvier 1929.
Pour la culotte.
La lettre du S.M. [Scoutmestre, on dirait aujourd’hui Chef de Troupe] Foubert a déchaîné… des tempêtes. — Allons-nous partir en guerre pour ou contre la culotte ?
L’ A.S.M. Bonfilhon (5e Toulon) trouve la tenue de camp très pratique.
« Mais en ville, lorsqu’on a une démarche à faire en tenue, participer à un dîner, à une réception officielle, je trouve notre tenue actuelle fort peu pratique et vraiment insuffisamment « cérémonie ». C’est particulièrement le procès des culottes courtes que je veux faire. — Point n’est besoin, dans un salon où l’on vient pour l’intérêt du Scoutisme, d’avoir un costume apte à faire du tracking… je crois que les culottes courtes peuvent nous nuire ; elles sont en tout cas parfois fort gênantes ! »
L’instructeur A. Malfile estime également qu’il serait très scout d’accorder gaiement une petite concession à la société, en étendant « à la tenue de ville des chefs et même des routiers le port de la culotte saumur ».
Par contre, l’A.Sm. Engelman convient que la veste devrait être de rigueur dans les cérémonies officielles ; quant à la culotte courte :
« Elle offusque certaines personnes ? c’est regrettable ! mais remplacez-la par la culotte Saumur ou le pantalon, vous aurez l’air de poser pour l’officier. »
L’A.Sm.P. de Gasquet, qui regrette même le port de la veste, écrit :
« La tenue scoute a un chic tout particulier, joli sans mièvrerie, dégagé, alerte, et vraiment unique, qu’il serait dommage de lui ôter, sous prétexte de « convenances » ; — on peut d’ailleurs répondre que les convenances sont beaucoup plus dans l’allure, le maintien, la tenue dont un Scout saura ne jamais se départir. »
Le S.M. Massard s’indigne « après bientôt quinze ans de métier » à l’idée de porter une culotte Saumur. Lui aussi nous écrit :
« La tenue du scout est ce qu’on la fait ! »
Ce n’est pas la culotte courte qui prête à critique, mais bien la culotte exagérément courte !
Le S.M. Chabrillat estime également que ce qui importe le plus, c’est de se sentir bien là où l’on est.
« En montrant à nos scouts la manière de porter leur uniforme nous ferons mieux qu’en leur montrant la manière d’en porter un autre. »
Allons-nous, mes frères chefs, nous quereller pour des longueurs ou des formes de culottes ?
Bientôt, nous publierons la grande réponse finale de ce petit débat épique… affaire à suivre !
Au-delà de ce genre d’anecdotes, ceux qui veulent en savoir plus sur l’évolution du cérémonial – uniforme et cérémonies – au cours de l’histoire des Scouts de France pourront se reporter au très renseigné mémoire d’histoire de Caroline Bay, L’évolution du cérémonial des Scouts de France de 1920 à 1980, disponible auprès du Réseau Baden-Powell, ou consultable au laboratoire scout de Riaumont. Plus qu’un divertissement pour aficionados du petit doigt sur la couture, ce long travail montre comment le cérémonial reflétait la vie, osons les mots, d’un peuple et d’une culture, et comment son évolution et révélateur de l’évolution pédagogique et idéologique du mouvement.
[…] vous souvenez que nous avions réouvert le débat qui animait la revue Le Chef en 1928 – 1929 : les chefs doivent-ils porter la culotte courte, […]