De la longueur des culottes… suite

Vous vous souvenez que nous avions réouvert le débat qui animait la revue Le Chef en 1928 – 1929 : les chefs doivent-ils porter la culotte courte, ou la culotte Saumur ? C’est dans Le Chef n°61 que nous avons magistralement le fin mot de la chose, avec une réponse qui cette fois s’intéresse beaucoup plus au fond des choses qu’à des considérations esthétiques et mondaines. Dépassons l’anecdote, et découvrons ce fameux article ensemble.


Pour la culotte

La coupe de nos culottes de chefs continue à hanter certains et à les priver de sommeil… ils mettent d’ailleurs à profit ces malheureuses insomnies, en rédigeant des mémoires enflammés. 

Jacques Balle (S-R d’Epernay) tout en reconnaissant que la culotte courte l’a beaucoup aidé à vaincre le respect humain, ajoute :

« Si nous voulons gagner les esprit à notre cause, nous aurons beaucoup plus d’influence en nous montrant en culotte Saumur avec la veste… c’est que la Société Française n’est pas encore habituée à voir porter des culottes courtes à tout âge… Si nous voulons l’accroissement de notre Mouvement, nous trouverions certainement des esprits plus sympathiques en nous introduisant avec une tenue correcte dans tous les milieux. Nous apparaîtrons comme des chefs aux yeux des enfants, nous témoignant plus de respect et d’obéissance que si nous étions en culotte courte ».

L’A.SM Paolini (3e Nancy) déplore également que

« La tenue de ville, pour rester de ville, ne comporte pas obligatoirement pour les chefs la veste et la culotte fermée ».

Mais le S.M. Drussel (3e Macon, Chevalier de France) bondit à lire ces offensives contre la culotte et nous écrit :

« La culotte Saumur n’est pas une solution car elle n’est pas plus « de cérémonie » que la culotte courte ; si l’on veut une tenue de cérémonie, il n’y a pas trente-six solutions : il faut adopter le pantalon… ??? il est inutile d’insister et j’espère que le pantalon n’aura pas de partisans. 

D’autre part, le fait d’imposer à certains chefs l’achat d’une tenue de cérémonie quelle qu’elle soit, destinée à servir deux ou trois fois par an ne cadrerait pas bien, il me semble, avec l’article IX. 

De plus les chefs pourraient être tentés, pour obéir à ce même article IX, de porter cette tenue de cérémonie plus de deux ou trois fois et même de l’user au camp… et ce serait alors bien pis qu’une culotte courte dans un salon ???

Cependant il y a de rares circonstances (pour les commissaires seulement), où vraiment on ne peut se présenter en culotte courte sans nuire au scoutisme. Eh bien ! dans ces cas, qui je le répète sont rares, ne faisons rien à moitié, en bons scouts, endossons un vêtement civil, un smoking s’il le faut. »

De même le C.D. Matte de Dieppe :

« Après la chemise, la culotte ! et après ?

Permettez à un Chef d’un rang « favorisé » du port ad libitum d’une culotte « Saumur » de vous donner son opinion sur cette question. Comme un des mes grands frères du IIe Cours, je trouve qu’un « scout » se juge par son allure et sa tenue quelle que soit celle que son rang l’autorise à porter.

Manches relevées, voire même coupées, pantalon court, chapeau à larges bords donnent au scout une allure particulière qui lui est propre (pour détails V.P. voir Palba 1928). Une veste permet aux Chefs d’avoir eux aussi une tenue digne ne devant laisser prise à aucune critique. Oter tout ou partie de cela ce n’est plus « le scoutisme ».

L’on trouve parfois que nous ne sommes pas des « types » comme tout le monde, c’est vrai, le costume doit en témoigner, n’y changeons rien. Au surplus, on ne fait pas du scoutisme à sa façon. Un règlement, des mieux compris, ne se modifie pas suivant les convenances personnelles des uns et des autres. A chacun, et je précise en toutes circonstances, de s’y conformer et de l’appliquer comme il convient et c’est au Comité de Règlement de le modifier s’il le juge à propos.

Revenant au propre du sujet, il m’apparaît aussi qu’il ne faut pas voir partout des visites « officielles » que, par le port par trop étendu d’une culotte « Saumur », j’aurais peur de voir se multiplier. Comme pour la petite croix de boutonnière, pas de respect humain. Si impérieusement, les « convenances » l’exigent, des visites peuvent très bien se faire en « civil », ce qui n’est pas plus V.P. que de se passer la figure à l’eau de Cologne le jour où il fait frais ou de se parer, au camp, dès le petit déjeuner, d’une veste — tenue de ville ne l’oublions pas — et d’un petit « balai » — à moins, bien entendu que ce ne soit pour faire un peu de propreté dans le camp !! »

D’ailleurs le SM D. Foubert a semblé, le premier, surpris de l’ampleur que prenait le débat, et nous dit :

« Il ne saurait être question de la tenue de camp, je ne prétendrais pas soulever ce lièvre. »

Tous sont certainement d’accord sur ce point : au camp, la tenue du scout. Le SM. emportera souvent sa veste, ne serait-ce qu’à cause des nombreuses poches qu’elle possède.

En ville : pour les réunions ordinaires, il ne saurait évidemment être question de la culotte Saumur ; tenue scoute, avec ou sans veste. L’on ne peut tout de même pas dire que la culotte courte n’est pas correcte. — Puis, ce n’est pas la culotte Saumur, ni la veste qui nous rapprocheront des garçons, au contraire ; ce n’est pas la culotte Saumur qui nous fera paraître plus chef ; les garçons jugent rapidement, et la coupe de la culotte influera peu sur leur décision ; au contraire, quelqu’un habillé comme eux les mettra bien plus vite en confiance… Que le port obligatoire de la culotte courte empêche certaines vocations de chefs d’aboutir, c’est possible ; mais, faut-il le regretter ? Un jeune homme qui ne saurait pas surmonter ce petit écueil, bien minime, de respect humain, ne doit pas avoir grande volonté et force de caractère.

… Que cela nous fasse regarder par le public encore inaccoutumé, comme des « gosses » ? Pas dans les grandes villes, où l’on est déjà habitué à cette tenue, mais peut-être bien dans les petites villes de province. Alors, si l’on renonce à porter la culotte courte, au début, pour ne pas effaroucher, on n’y reviendra jamais ensuite, ou ce sera beaucoup plus difficile. L’uniforme scout par lui-même étonne déjà pas mal dans certains cas ; ce premier moment passé, l’accoutumance viendra. A mesure que vous serez connu dans la ville, on vous regardera non plus comme un « petit garçon », mais comme un chef qui sait ce qu’il veut. Alors, on vous prendra au sérieux même si vous êtes en culotte courte, soyez sans crainte ; ce n’est jamais à cette objection que s’arrêteront des éducateurs.

… N’oublions pas non plus ce qui doit toujours être notre criterium : « Scouting for boys » ; plaçons-nous au point de vue du garçon : la culotte l’emporte irrésistiblement… de plusieurs longueurs… Et que penserait un de vos grands C.P, un peu travaillé par le respect humain, peut-être, s’il vous rencontrait vous rendant à une cérémonie officielle en culotte Saumur, faux-col, etc.

Et puis, l’uniforme scoute est si chic, si confortable : demandez à tous les « vieux » scouts le plaisir qu’ils ont, le dimanche, à revêtir leur uniforme scout, la petite culotte… L’A.M.L. Bernard Lefranc attire très justement notre attention sur le côté esthétique de la question… « Il est peut-être bon de rappeler un peu l’esthétique et le symbolisme de notre uniforme.

La culotte courte d’abord est la raison d’être de notre chapeau !… Mais oui — comme B.P. le faisait remarquer un jour à un de nos Commissaires, le chapeau à larges bords est facteur de la culotte courte et fait partie d’un ensemble qui forme une ligne évasée vers le haut : chapeau scout — épaules — foulard — ceinture — culotte — bas : c’est une ligne parfaite.

Si vous pouvez aligner un Scout en uniforme, un Scout en béret basque, et un Chef en culotte fermée, reculez-vous un peu, clignez de l’œil et jugez. Vous verrez !

La chemise, ensuite : n’est-elle pas un symbole d’activité ? et le premier geste de l’ouvrier qui va travailler n’est-il pas de relever ses manches ? Pour nous qui devons être toujours prêts, nous avons nos manches toujours relevées (et non coupées). 

Il semble cependant évident que pour les Chefs qui peuvent être appelés à figurer dans des cérémonies officielles les bras nus sont exagérés. Si les dix centimètres de genoux nus que laisse apercevoir l’espace entre une culotte suffisamment longue et les bas est insignifiant, il n’en est pas de même pour des avant-bras plus ou moins esthétiques et plus en vue.

Donc, pour les Chefs : la veste, mais seulement pour les cérémonies.

Qu’en sortie le chef soit comme ses garçons, avec son chandail ou sa chemise.

Pour la culotte veut-on une raison esthétique ? la voici : quoi de plus chic que notre culotte bleue avec la chemise ou la veste kakie. Or la culotte Saumur ne peut supporter que le kaki (si vous en doutez, essayez de porter la veste kakie avec la culotte fermée bleue, vous m’en direz des nouvelles). C’est donc supprimer un des chics de notre uniforme que d’abandonner la culotte et par suite le bleu.

Veut-on un exemple ? Le voici : est-ce que les officiers supérieurs des Highlanders ne sont pas reçus partout avec leur kilt ?

Et puis peut-on discuter de commodités et de convenances quand il s’agit d’un uniforme ?

Un uniforme, quand il est strictement d’ordonnance, est toujours aussi correct que la plus élégante des tenues de soirée. »

Enfin, pour les cérémonies officielles, la culotte courte est sans le moindre inconvénient : les chefs scouts sont reçus en audience pontificale en culotte courte, B-P est reçu à la Cour d’Angleterre en culotte courte.

Remarquons d’ailleurs que le Règlement prévoit pour les Commissaires, mais pour eux seuls, le port de la culotte Saumur. 

Enfin, pour ce qui est des « soirées » ou d’autres cérémonies « du monde » (pour lesquelles l’uniforme scout n’a pas été fait, ne l’oublions pas), si vous êtes un certain nombre ou si la culotte courte ne doit pas faire trop scandale, n’hésitez pas ; sinon, comme le suggèrent le C.D. Matte et le chef Foubert, endossez « la tenue de rigueur pour la soirée, en arborant l’insigne civil à la boutonnière ».

D’ailleurs la culotte Saumur n’est pas une tenue de gala, puisque justement les officiers en grande tenue portent le pantalon. Alors, un pantalon scout ? Non, n’est-ce pas, frères chefs…

Pour résumer ce long débat :

Portons l’uniforme comme le prévoit le Règlement (ses rédacteurs avaient bien prévu toutes les objections ou les obstacles…) et dans les circonstances où il le prévoit, avec les directives suivantes :

Bon sens, Tenue et Discrétion, Mesure et Distinction, et point de vue des garçons…

Enfin, laissez-moi, en guise de conclusion, livrer à vos réflexions ces quelques pages du maître-livre de Miss Barclay « Good scouting ».

Culottes courtes et ascétisme

Il y a probablement bon nombre de personnes qui considèrent l’uniforme scout comme un costume tendant à l’originalité. Il n’y a pas d’objections — ils se contentent de sourire avec indulgence. Et ils regardent les hommes qui portent des culottes comme des enthousiastes à l’esprit plutôt jeune qui aiment s’habiller de façon pittoresque. Ils seraient surpris d’apprendre la profondeur de leur erreur.

D’abord, les culottes sont l’uniforme scout réglementaire imposé à ses membres par la « Boy Scouts Association ». Sir Robert Baden-Powell va à la Cour en culottes. Le Prince de Galles porte des culottes quand il assiste à des réunions scoutes. Les Commissaires portent des culottes, mêmes aux audiences pontificales. Les Scoutmestres déjà âgés portent des culottes par le froid mordant des soirées de janvier alors que le vent souffle dans les rues ou que le brouillard flotte dans l’air.

Il n’y a probablement rien dans la création qui ait aussi sensiblement conscience de soi-même qu’un Anglais. Quelle que soit la classe de la société dans laquelle il est né ou à laquelle il appartienne, il veille à ce que son costume ne s’écarte pas d’une ligne de ce qui est regardé comme habituel pour chaque circonstance particulière. Exposer ses genoux aux regards du public n’importe où, ailleurs que sur le terrain de foot-ball, lui est très pénible, la première fois et encore longtemps par la suite. Ajoutez à cela des manches relevées jusqu’au coude, un foulard de couleur et un chapeau à larges bords. Vous, le public, bien « entuyauté » dans vos longs pantalons et dans vos « melons » aussi soignés que banals, vous ne savez pas le courage moral qu’il a fallu pour cela.

Pensez à ce retour à la maison, après une longue journée dans un bureau surchauffé, à un repas avalé « en vitesse » et à un départ dans la nuit, avec la pluie qui bat vos genoux nus, le vent d’est qui s’engouffre en sifflant dans les manches de votre pardessus, et votre chapeau qui se conduit comme un cerf-volant.

Vous pensez sans doute qu’il est très peu pratique d’avoir une règle qui détourne un grand nombre de jeunes hommes de s’offrir comme Scoutmestres. Là encore, vous avez tort. Nous ne désirons que cette sorte d’homme qui a assez de souci du travail pour pouvoir s’oublier elle-même, surmonter sa propre répulsion à porter quelque chose d’insolite et accepter avec le sourire ce léger manque de confort physique. Un homme qui ne peut pas se vaincre jusqu’à ce point n’est pas un homme capable d’être le frère aîné et le guide de scouts : les culottes sont une preuve éliminatoire qui n’est pas de minime importance.

Mais tout ceci est négatif, et l’ascétisme est positif.

D’avoir combattu un de nos défauts anglais les plus paralysants, l’homme devient membre plus agréable et plus utile à la société.

Mais n’imaginez pas que tout Scoutmestre souffre sans cesse le martyre. En très peu de temps il s’habitue à porter des culottes, il se met à aimer son uniforme, symbole de son scoutisme, de son appartenance à la fraternité mondiale. Il en est fier, il s’y trouve bien, en accord avec sa nouvelle mentalité aux idées larges et grandes, avec l’évolution rapide de ses goûts et de son enthousiasme, avec la vraie fraternité qu’il contracte avec le garçon.

Et les grandes réunions de chefs, nationales ou internationales n’acquièrent toute leur signification que grâce à l’uniforme : genoux nus et chapeau à larges bords sont les mêmes pour tous et le signe extérieur de la fraternité.

Mais, exception faite de ces deux points de vue, chacun peut donner libre cours à ses goûts personnels, à ses préférences de Troupe, à ses caractères nationaux d’une manière que le costume moderne a rendu impossible. C’est là l’expression d’une autre grande idée scoute : Scoutisme signifie liberté. Chaque homme doit être lui-même et non l’esclave d’une mode ou d’une convention. Chaque garçon doit se développer lui-même et seule une éducation qui le traite comme une individualité est digne d’une âme créée par le Dieu Tout-Puissant. Cependant, personne ne doit être l’esclave de soi-même : il y a des réalités supérieures qui exigent son loyalisme. « Je promets de faire de mon mieux pour remplir mes devoirs envers Dieu et le Roi, pour aider les autres en toute circonstance, pour observer la Loi Scoute. » Le Scoutisme est une sorte de liberté sûre et saine, une partie de la « liberté dont le Christ nous a faits libres ».


Au-delà de ce genre d’anecdotes, ceux qui veulent en savoir plus sur l’évolution du cérémonial – uniforme et cérémonies – au cours de l’histoire des Scouts de France pourront se reporter au très renseigné mémoire d’histoire de Caroline Bay, L’évolution du cérémonial des Scouts de France de 1920 à 1980, disponible auprès du Réseau Baden-Powell, ou consultable au laboratoire scout de Riaumont. Plus qu’un divertissement pour aficionados du petit doigt sur la couture, ce long travail montre comment le cérémonial reflétait la vie, osons les mots, d’un peuple et d’une culture, et comment son évolution et révélateur de l’évolution pédagogique et idéologique du mouvement.

One Reply to “De la longueur des culottes… suite”

  1. […] nous publierons la grande réponse finale de ce petit débat épique… affaire à suivre […]

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