Le 18 novembre, nous fêterons la dédicace des Basiliques Saint-Pierre et Saint-Paul. L’occasion d’évoquer ce que dut être l’arrivée du prince des Apôtres à Rome avec un extrait de Si tu savais le don de Dieu, du Chanoine Weber.
Après une tournée d’évangélisation en Asie mineure, en 42, saint Pierre (treize ans après la mort du Christ) arrive à Rome accompagné des disciples Rufus, Pancrace, Marcien, Apollinaire et Martial. Saint Marc le rejoindra bientôt (et rédigera alors son Evangile).
« A propos de l’arrivée de saint Pierre à Rome, un Père de l’Eglise a fait ressortir, sous une forme dramatique, le caractère surhumain de l’entreprise qu’il venait d’accomplir.
Figurez-vous cet étranger, au visage pâle et à la barbe crépue, revêtu d’une robe et d’un manteau usés par le voyage, pieds nus ou avec de pauvres sandales, se reposant un moment au milieu de ses compagnons, près de la porte Navale, par exemple, tâchant d’obtenir des renseignements sur le chemin qu’il doit suivre dans les détours de la grande ville, et se faisant nommer quelques-uns des principaux monuments qu’il découvre. De la borne où il est assis, il peut apercevoir, sur le sommet du Capitole, le temple de Jupiter qui domine Rome et le monde. Pendant qu’il médite sur ce qu’il voit, un de ces chercheurs de nouvelles, qui se plaisent à questionner les arrivants, s’approche de lui, et il s’établit entre eux le dialogue suivant :
Le Romain – Etranger, pourrais-je savoir quelle affaire t’amène à Rome ? Je serais peut-être en état de te rendre service.
Pierre – Je viens y annoncer le Dieu inconnu, et substituer son culte à celui des démons.
Le Romain – Vraiment ! mais voilà quelque chose de très nouveau, et j’aurai grand plaisir, tout à l’heure, à raconter ceci à mes amis en me promenant avec eux dans le Forum. Si tu le veux bien, causons un peu : dis-moi d’abord d’où tu viens, quel est ton pays ?
Pierre – J’appartiens à une race d’hommes que vous détestez et que vous méprisez. Mes compatriotes, à ce qu’on m’a dit, ne demeurent pas loin d’ici, le long du Tibre : je suis Juif.
Le Romain – Mais tu es peut-être un grand personnage dans ta nation ?
Pierre – Regarde ces pauvres mariniers qui se tiennent là, tout près de nous, sur le bord du fleuve : je suis de leur métier. J’ai passé une bonne partie de ma vie à prendre des poissons dans un lac de mon pays, et à raccommoder mes filets pour gagner mon pain. Je n’ai ni or ni argent.
Le Romain – Et, depuis que tu as quitté ce métier, tu t’es sans doute appliqué à l’étude de la sagesse, tu as fréquenté l’école des philosophes et des rhéteurs, tu comptes sur ton éloquence ?
Pierre – Je suis un homme sans lettres.
Le Romain – Jusqu’ici, je ne vois rien de bien rassurant pour ton entreprise : il faut donc que le culte de ce Dieu inconnu dont tu parles soit bien attrayant par lui-même, pour pouvoir se passer ainsi de toute espèce de recommandation ?
Pierre – Le Dieu que je prêche est mort du dernier supplice sur une Croix, entre deux voleurs.
Le Romain – Et que viens-tu donc nous annoncer de la part d’un Dieu si étrange ?
Pierre – Une doctrine qui semble une folie aux hommes superbes et charnels, et qui détruit tous les vices auxquels cette ville a élevé des temples.
Le Romain – Quoi ! tu prétends établir une pareille doctrine à Rome d’abord, et ensuite dans quels pays ?
Pierre – Toute la terre.
Le Romain – Et pour longtemps ?
Pierre – Tous les siècles.
Le Romain – Par Jupiter, l’entreprise a quelque difficulté, et je crois que tu aurais besoin de commencer par te faire de puissants protecteurs, pour n’être point arrêté à ton début ; mais je n’imagine pas que tu comptes les Césars, les riches, les philosophes parmi tes amis ?
Pierre – Les riches, je viens leur dire de se détacher de leurs richesses ; les philosophes, je viens captiver leur entendement sous le joug de la foi ; les Césars, je viens les destituer du Souverain Pontificat.
Le Romain – Tu prévois donc qu’au lieu de se déclarer pour toi, ils se tourneront contre toi et tes disciples, si tu en as ? Que ferez-vous alors ?
Pierre – Nous mourrons !
Le Romain – C’est en effet ce qu’il y a de plus vraisemblable dans ce que tu viens de m’annoncer. Etranger, je te remercie ; tu m’as fort diverti. Mais en voilà assez pour le moment ; je t’entendrai un autre jour. Adieu. — Pauvre fou ! C’est pourtant dommage ; car il m’a l’air d’un assez brave homme.
…. Ce dialogue, sans être une vérité historique, est un fait dont on peut dire : Je l’ignore, mais je l’affirme. » (Mgr Gerbet. Esquisse de Rome Chrétienne, T. I, Introduction.)