Les Fêtes se sont achevées. Le travail a repris. A la joie des retrouvailles familiales, aux Alléluia chantés, ont succédé les bruits des machines de l’atelier et les clients mécontents.
Hé ! perdrions-nous notre joie intérieure ? Retomberions-nous dans la triste routine accablante ? L’Enfant-Dieu n’est-il venu que pour un jour, ou une semaine ? N’est-il pas encore présent dans notre cœur ?
Prenons garde à la tristesse et à sa sœur jumelle la mélancolie. Elles sont les premières lignes de l’Adversaire. Dès que nous les voyons poindre, n’ayons aucun doute sur le général qui les envoie.
Déjà, les moines égyptiens du IVe siècle connaissaient l’influence fâcheuse de la mélancolie sur le développement de la vie religieuse. La tristesse était d’ailleurs parmi les péchés capitaux, qui se portaient alors à huit, et au Moyen-Age, la mélancolie était taxée de pénitence au même titre que l’avarice ou la paresse. Grégoire le Grand ramena les péchés capitaux à sept, fondant en un seul la tristesse et la paresse, sous le nom de tristesse. C’est saint Thomas qui utilisa le terme de paresse, ou d’acédie.
Baden-Powell parle souvent du sens de l’humour, qui permet de se sortir de toutes les situations. Beaucoup de ceux qui ont eu à survivre dans des situations désespérées expriment la même idée. Ce bon sens psychologique est depuis longtemps développé par l’Eglise, et adapté à la vie spirituelle. C’est bien ce que signifie le Père Sevin dans l’article 8.
Le scout est maître de soi, il sourit et chante dans les difficultés.
Certains ont prétexté qu’il n’était pas possible de toujours sourire, et que la joie ne se commandait pas, qu’elle était un état qui s’imposait à l’âme. C’est qu’ils n’ont pas lu les recommandations du Père, ni celle de saint Thomas d’Aquin ! Qui n’a jamais fait l’expérience de ce grand sourire inexpliqué et spontané après une bonne confession, une oraison, ou une communion fervente ? Le Père considère la joie comme un des piliers de sa spiritualité, et comme un outil d’apostolat essentiel. Pourtant, la réalité du quotidien nous rattrape parfois.
La tristesse « provient quelquefois de l’ennemy infernal qui par mille suggestions tristes, melancholiques et fascheuses, obscurcit l’entendement, alangourit la volonté et trouble toute l’ame ; et comme un brouillard espais remplit la teste et la poitrine de rume, et par ce moyen rend la respiration difficile et met en perplexité le voyageur, ainsy le malin remplissant l’esprit humain de tristes pensees, il luy oste la facilité d’aspirer en Dieu et luy donne un ennuy et descouragement extreme, affin de le desesperer et le perdre. » (saint François de Sales).
Comment se garder des pensées spontanées, involontaires, de tristesse ? Il est bon d’avoir en réserve de petites oraisons jaculatoires et d’y joindre des « états positifs » comme on dit en psychologie, qui seront personnels à chacun : une image de la Crèche, singulièrement réconfortante, le souvenir d’une oraison particulière, un regard et un sourire du Christ du haut de sa Croix, la pensée de Notre-Dame sur son trône, entourée de myriades d’anges, et qui nous tend les bras pour nous accueillir… Il faut poser un acte de la volonté, et l’accompagner d’un acte sensible, pour le consolider. C’est une méthode parmi d’autres. A chacun de se l’approprier. Saint François de Sales recommande que les invocations soient dites à voix haute, et bien avant l’article 8, il recommande de chanter ! « Faites des actions extérieures de ferveur, quoy que sans goust, embrassant l’image du Crucifix, la serrant sur la poitrine, luy baysant les pieds et les mains, levant vos yeux et vos mains au ciel. »
Lorsqu’on est triste, on n’a plus de goût pour la prière. C’est à ce moment-là qu’il faut le plus tenir ses horaires, tenir la méditation jusqu’à la dernière minute, même si on n’arrive à rien, rajouter une dizaine de notre chapelet à nos habitudes… le Malin porte bien son nom : s’il voit que sa tentation vous fait prier avec plus d’ardeur, il cessera vite de vous accabler !
Dernier conseil : s’ouvrir à son directeur spirituel. Satan n’aime pas être exposé au grand jour. S’entourer de bons amis, parler à des personnes pieuses éclaire nos voies.
Alors, notre joie surpassera ces quelques tentations. Puisée dans la communion et l’état de grâce, elle nourrira notre quotidien et nous poussera non à la routine, mais à cette surérogation si caractéristique de notre esprit chevaleresque : « en tout, plus qu’il n’en faut » !