Extrait de Dans la joie, j’élève mes enfants, de Pierre Chrétien, récemment réédité par les éditions CSC.
Curieuse destinée que celle qui m’échoit depuis six ans : successivement ingénieur, officier, prisonnier, fonctionnaire, cultivateur et professeur !… Vie d’usine — vie militaire — vie de reclus — vie de voyage — enfin vie familiale à la campagne !
Toutes passionnantes par leurs possibilités, vies dépouillées de leurs gangues quotidiennes, de leur routine habituelle, et aboutissant finalement à cet épanouissement merveilleux d’une vie à la fois familiale et près de la nature, et se résumant dans la plénitude d’une vie chrétienne — vie précaire peut-être (de quoi l’avenir sera-t-il fait ?) mais qui, telle qu’elle est, restera pour notre famille un souvenir inoubliable, riche de vie, riche d’enseignements, riche de découvertes surtout.
Et puis, n’est-ce pas le moment, devant la gravité des événements qui bouleversent notre pays, de mener une vie totalement chrétienne ? Le problème fondamental n’est-il pas de rechristianiser notre pays ? — N’est-ce pas même le seul problème, celui qui doit résoudre tous les autres ? La déception violente que je venais d’éprouver en mettant un terme brutal à une situation à laquelle je m’étais donné, m’incitait cette fois à choisir un terrain solide ; l’essai d’une vie familiale toute centrée sur le Christ ne peut aboutir à une déception. Au milieu de la fragilité des constructions sociales ou politiques, famille et religion sont deux réalités sur lesquelles on peut construire sans crainte. J’ajouterai que la vision lamentable de ces milliers de familles ouvrières sombrant dans une déchéance telle que la famille elle-même disparaît, avait hanté mes années d’avant- guerre, hanté mes conversations en captivité ; que faire ? Ces hommes ne sont-ils pas comme nous faits à l’image de Dieu ? Comment les rééduquer, les ramener à une vie plus conforme à la nature ? Le retour à la terre ou à un métier artisanal me paraissait devoir être un des moyens efficaces pour redonner à quelques-uns des possibilités de vie familiale et plus humaine.
Ma décision fut donc prise. Étudier sur moi-même les conditions de réadaptation à la vie de la campagne — et en même temps, tenter en famille une expérience de vie totalement chrétienne.