Le scoutisme français à l’épreuve de la guerre

Nous vous livrons ici un article encore jamais publié, qui avait été rédigé pour une revue d’histoire périgourdine.


Plus grand mouvement de jeunesse qui ait jamais existé à travers le monde, le scoutisme demeure vivace durant la Seconde Guerre Mondiale, en tant qu’association mais aussi par les responsabilités et les initiatives prises par les hommes et les femmes formés à son école.

Le scoutisme est une méthode d’éducation fondée sur la responsabilisation de l’adolescent et sur le contact avec la nature. Il est défini en Angleterre par le général Robert Baden-Powell qui organise un premier camp expérimental durant l’été 1907, sur l’île de Brownsea. La méthode décrite dans son livre Scouting for boys est rapidement reprise et appliquée par de nombreux éducateurs à travers le monde. En 1927, on comptabilisait déjà 9 millions de scouts dans 42 pays.

Baden-Powell organise les garçons en trois «branches» : les Louveteaux de huit à onze ans, les Scouts ou Eclaireurs de onze à dix-sept ans et les Routiers, de plus de dix-sept ans. Les Scouts sont organisés en troupes, sous la direction de quelques chefs et d’un aumônier. La troupe est elle-même divisée en patrouilles, équipes de sept ou huit garçons sous la responsabilité du plus grand. Les Routiers sont quant à eux organisés en clans tandis que les Louveteaux le sont en meutes. On trouve une organisation semblable chez les filles, que l’on nomme Guides.

En France, plusieurs associations se développent en fonction de leurs choix religieux. La plus importante est l’Association des Scouts de France, catholique, créée en 1920 par le jésuite Jacques Sevin. Son association est reconnue d’utilité publique le 27 avril 1927.

Dans les années trente, dans d’autres pays européens, la jeunesse est souvent embrigadée dans des mouvements qui copient les uniformes scouts, parfois aussi une partie de la méthode, totalement détournée. C’est le cas de l’Allemagne d’Hitler qui tente de faire reconnaître sa Hitlerjugend par l’Organisation Mondiale du Scoutisme et interdit tout mouvement scout. Le salut brandi, utilisé depuis toujours par les scouts, s’en trouve détourné. Les chants même sont repris et adaptés, à commencer par le chant de la Promesse, chanté lors de la cérémonie d’engagement.

1939 : prêts à servir

A l’aube de la guerre, le scoutisme en France est très vivant, déjà bien structuré. L’un de ses objectifs étant de former des citoyens utiles, la mobilisation est totale au sein du mouvement. Les troupes et les clans sont mis en état d’alerte, afin que leurs capacités techniques et leur organisation permettent de mettre en oeuvre leurs devises « Etre prêt » et « Servir ». Ils aident à la Défense Passive, aux services d’évacuation et de liaison. On les retrouve en unités constituées dans les centres d’accueil, les transports de plis officiels et secrets, les déménagements, les aménagements d’hôpitaux, les services de guet. Le Ministère de l’Agriculture leur demande d’aider aux travaux des champs. Les revues des associations publient de nombreux articles expliquant comment réagir en cas d’alerte, d’incendie ou décrivant le bon usage des masques à gaz.

Parallèlement, le mouvement se trouve en difficulté. Le père Forestier critique le traité de Versailles et espère encore éviter la guerre (1). De nombreux chefs sont mobilisés, les activités nationales cessent. Pourtant, la vie scoute continue. Les chefs de patrouille, à seize ou dix-sept ans, prennent la direction des troupes, le journal l’Ami des Scouts est lancé en 1939, le Pape Pie XII reçoit une délégation Scouts de France quelques jours après son sacre en mars de la même année. On commence à organiser un Jamboree, rassemblement mondial de scouts, pour 1941. Les effectifs continuent de croître : les Scouts de France (garçons uniquement) comptent plus de 70 000 membres actifs en 1939 (2) sur une population un tiers moins nombreuse qu’aujourd’hui. La seule province Aquitaine (Gironde, Dordogne, Lot-et-Garonne) passe, de 1938 à 1939, de 18 à 24 meutes, de 23 à 29 troupes et conserve 5 clans (3).

Mais bientôt les combats commencent. 2 000 scouts meurent pour la France avant 1940. Parmi eux, Guy de Lariguaudie, « le Routier de Légende », écrivain et voyageur – il est le premier à effectuer une liaison automobile Paris-Saïgon en 1937. Cet aventurier qui aime à décrire sa maison familiale des Gérauds à Saint-Martin de Ribérac (24) tombe dans la nuit du 11 mai 1940 le long de la frontière belgo-luxembourgeoise.

La France est envahie. En zone nord, le Scoutisme et le port de l’uniforme sont interdits le 28 août. Les activités continuent clandestinement, en secret ou sous couvert de nouvelles associations. Le camp école de Chamarande (91) est ravagé par de jeunes SS. Le Quartier Général des Scouts de France, à Paris, est mis sous séquestre, ce qui le pousse à déménager successivement à Bordeaux, Vichy et Lyon. Le mouvement scout doit s’adapter à cette nouvelle situation. 

Besoin d’unité

Au lendemain de la défaite, le besoin d’unité se fait sentir entre les différentes associations françaises. Au début de l’automne 1940, par la déclaration de l’Oradou du 25 septembre se constitue le Scoutisme Français. C’est une fédération des associations scoutes françaises, placée sous la direction du Général Lafont. Il s’agit de mener une action extérieure commune et des travaux d’ensemble, unis par l’emploi d’une même méthode. Y adhèrent : les Eclaireurs de France (acceptant toutes les croyances), les Eclaireurs Unionistes de France (d’inspiration protestante), les Scouts de France (catholiques), la Fédération Française des Eclaireuses (groupements féminins interconfessionnels) et les Guides de France (association catholique du scoutisme féminin). « Le Scoutisme qui a déjà mêlé sans distinction de classe et de milieu tous les garçons à la conquête d’un Idéal commun, veut travailler à l’union des français et participer à l’organisation de la jeunesse. Il est un des mouvements agréés, avec les Compagnons de France, l’Association Catholique de la Jeunesse Française, le Conseil Protestant, etc. Il désire être un des éléments actifs de l’union de ces mouvements dans leur volonté de travailler au relèvement de la France » (4).  On lit sur le calendrier Scout de France de 1940 qu’« en collaborant à donner à la jeunesse française l’éducation scoute, [les scouts agissent] sur les causes profondes et durables du redressement de notre pays ».

Fidélité au Maréchal Pétain

Le Scoutisme « ne vise pas à être un Mouvement de masse, car, avant tout il est soucieux d’assurer à chacun de ses membres une formation personnelle très poussée. Il se propose aussi d’être un pourvoyeur de Cadres pour d’autres Mouvements de Jeunesse, pour les colonies de vacances, pour les activités de l’Education générale dans les écoles, ainsi que pour les Chantiers de Jeunesse » (5).

En effet, le Scoutisme Français est le premier mouvement agréé par le Secrétariat Général de la Jeunesse (bientôt rattaché au ministère de l’Education Nationale) le 24 juillet 1941 et il participe activement et officiellement à la restauration entreprise par le gouvernement de Vichy répondant à l’appel lancé par le Maréchal Pétain le 13 août 1940 : « Tous les mouvements de jeunesse existant seront maintenus ; leur originalité sera respectée, leur action encouragée, étendue et complétée par des initiatives nouvelles. A tous, je demanderai les mêmes efforts, ceux qui feront de la jeunesse française une jeunesse forte, saine de corps et d’esprit, préparée aux tâches qui élèveront leur âme de Français et de Française. » Le mouvement scout est largement encouragé par le Maréchal Pétain qui lui exprime son soutien à de nombreuses reprises. Le Commissaire Général des Scouts de France écrit dans l’agenda (Kim) de 1942 : « La France meurtrie renaîtra par ses fils devenus plus forts, plus fraternels, plus courageux et également prêts à l’épreuve et à la joie des renouveaux, confiants, patients, fidèles au Maréchal. Chaque jour sa voix répétera pour vous : « Tous les Français fiers de la France, et la France fière de tous les Français ». […] Résolument tournés vers l’avenir, guidés par le Maréchal, nos routes s’uniront demain du Puy à Chartres, au parvis de Notre-Dame de Paris, à celui de Reims, à Notre-Dame des Trois-Epis, au Mont Saint-Michel, au lieu des grandes fidélités françaises. » 

Si le scoutisme est ainsi un outil pour le gouvernement de Vichy, le mouvement profite aussi des circonstances. Il était déjà proche des idées de la Révolution Nationale par ses valeurs et son attachement à la terre. Le Père Doncoeur, principal animateur des clans routiers, idéaliste acteur de la renaissance religieuse d’avant-guerre, veut construire une nouvelle chrétienté. Il trouve dans ces circonstances un appui officiel qui lui permet de mettre en pratique ses idées. De nombreux scouts exercent des responsabilités à Vichy. Le Scoutisme fournit des cadres aux diverses initiatives du gouvernement : Compagnons de France, Ecole des Cadres d’Uriage, mouvement Jeune France de Pierre Schaeffer et surtout Chantiers de Jeunesse.

Le Général Joseph de La Porte du Theil a été commissaire chez les Scouts de France. Il utilise une partie des méthodes qu’il a expérimentées et reconstitue une organisation et une hiérarchie similaire afin de mettre sur pied en juillet 1940 les Chantiers de Jeunesse qui remplacent le service militaire pour préparer la reconquête du pays. Il fait rapidement appel au père Forestier, aumônier général des Scouts de France, pour exercer le même poste dans son organisation. La liaison entre les Chantiers de Jeunesse et le Scoutisme Français est officiellement organisée avec notamment pour but de « bien préparer les Routiers et les chefs à tenir leur place aux Chantiers et à avoir une influence utile » mais aussi de « récupérer comme chefs, non seulement les jeunes qui étaient déjà Scouts, mais encore ceux qui ont manifesté le désir de le devenir » (6). Lorsqu’en 1943 les Chantiers sont interdits, une bonne part des jeunes intègrent les Forces de l’Intérieur ou prennent le maquis. La Porte du Theil est quant à lui arrêté et incarcéré à Munich.

« Un Routier qui ne sait pas mourir n’est bon à rien » (Cérémonie du Départ Routier)

Mais comme souvent en cette période troublée, l’adhésion à Vichy n’empêche pas la résistance et le scoutisme s’y illustre pareillement. Si les associations scoutes sont fidèles au Maréchal, il y a un refus clair de collaborer avec l’ennemi. Les articles des revues officielles insistent sur l’obéissance au chef mais aussi sur les choix que doit parfois poser la conscience (7).

En avril 1942, une loi dissout les associations juives de France. La zone sud est occupée par l’armée allemande le 11 novembre. Il faut attendre janvier 1943 pour que le Commissariat général aux questions juives interdise les Eclaireurs Israélites de France. Le Général Lafont, décoré de la Francisque, leur fait immédiatement distribuer des cartes d’Eclaireur de France ou d’Eclaireur Unioniste afin qu’ils puissent continuer leurs activités.

La formation morale et technique acquise avant la guerre permet à beaucoup de scouts de se distinguer. Le Clan Saint-Martin, à Limoges, s’illustre par l’attitude de ses Routiers : René Mouchotte, pilote dans la réserve, gagne l’Angleterre avec l’avion de son colonel et se fait affecter dans l’aviation britannique au Churchill’s Squadron. Il se fait remarquer lors de la bataille d’Angleterre et devient le premier étranger à diriger une escadrille. Il est abattu le 27 août 1943. Toujours de Limoges, Robert Pasteau, qui participe à la fondation des Scouts de l’air ; capitaine spécialisé dans les missions nocturnes, il s’écrase dans la nuit du 25 mai 1940 lors d’un bombardement. Le destin de Jean Traversat est peut-être l’un des plus typiques de ce qu’ont vécu de nombreux scouts à cette période. De la « 3ème Limoges », il participe dès le début de la guerre au Secours National. Il entre aux Chantiers de Jeunesse en 1943 où il organise un spectacle baptisé « France vivra ». Il refuse de se soumettre lorsque les Allemands demandent des travailleurs et prend le maquis. Il devient agent de liaison puis reçoit la mission de former une école de cadres. Capturé lors d’une mission le 19 juin 1944, il donne de faux renseignements et est abattu quelques minutes plus tard sur sa civière de blessé.

D’autres s’en sortent plus heureusement comme Jean Peyrade. Ce professeur au collège  Saint-Genès à Bordeaux découvre le scoutisme par ses élèves. Il prononce sa Promesse à vingt-trois ans, et dirige le Clan Albert-le-Grand. En 1940 il est Commissaire à Toulouse, puis responsable du bureau de l’éducation aux Chantiers de Jeunesse et de l’animation culturelle pour la région toulousaine, tout en restant instructeur chez les Scouts de France. Il quitte lui aussi les Chantiers en 1943 pour ne pas partir en Allemagne. Il est, après la guerre, à la Direction régionale de l’Information à Toulouse, puis au ministère de l’Information jusqu’en 1978. 

Une résistance spirituelle est aussi organisée par le père Forestier qui convie 10 000 Routiers à se rendre au Puy en pèlerinage le 15 août 1942 pour demander la libération de la France. Ils affluent des quatre coins du pays, parfois clandestinement, portant les statues des Vierges de Strasbourg, Pontmain, Boulogne, Myans, Salins… Ils sont encouragés par le Pape et par le Maréchal Pétain.

Enfin, pour les Chefs et Routiers qui sont éparpillés dans toute la France, emprisonnés dans les camps ou au STO, les souvenirs des aventures et la fraternité scoute sont fondamentaux pour « tenir ». Les témoignages et les courriers abondent dans toutes les revues. Souvent, ils fondent des Clans de Routiers, y compris dans les camps de prisonniers, afin de servir leurs camarades.

En crise, mais vivace

A l’issue de la guerre, le mouvement scout célèbre lui aussi la Libération. De grandes cérémonies sont organisées à travers le pays comme la grande messe scoute qui se tient à la cathédrale de Bordeaux le 19 novembre 1944. Le 23 avril 1945, jour de la saint Georges (saint patron de tous les Scouts), 40 000 Scouts et Guides défilent sur les Champs-Elysées devant l’épouse de Baden-Powell (mort en 1941 en Afrique) et le Général Lafont. Les Scouts continuent à rendre service et la guerre fait encore quelques victimes. François de Sèze, routier à Bordeaux, meurt le 12 juin 1944 du typhus, attrapé en accueillant les rapatriés des camps.

Le mouvement est éprouvé. Les crédits alloués par l’Etat cessent en 1946. La guerre laisse place à une nouvelle société. Le scoutisme s’interroge sur la nécessité de changer. Il y a une véritable crise d’identité et de valeurs.

Pourtant, Michel Menu, évadé et résistant, devenu Commissaire National des Scouts de France, utilise le mythe de la guerre pour relancer le mouvement. L’aventure « Raiders » propose aux garçons de pratiquer la radio, la mécanique ou encore le parachutisme. Les récits d’actes de résistance inondent les revues et fournissent des sujets pour les grands jeux organisés. Les effectifs atteignent les 117 000 pour les seuls Scouts de France en 1946. Les unités sont très actives, comme en témoigne un extrait du calendrier des activités de trois unités du Groupe des Cadets de Notre-Dame de Bordeaux ci-dessous. Toutes les unités ont habituellement une réunion chaque jeudi et une sortie chaque dimanche. Un dimanche par mois est libéré pour la famille.

Le Jamboree (rassemblement mondial de scouts) n’a pas pu avoir lieu en 1941 comme prévu. C’est donc en 1947 que cette sombre période est oubliée lors du Jamboree de la Paix à Moisson (78). 50 000 scouts de 52 nations se retrouvent sur 750 hectares. Le gigantesque camp édite son journal quotidien, possède son train, sa banque et envoie 50 000 lettres par jour ! 

Bien qu’éprouvé, le Scoutisme a su montrer durant la guerre l’efficacité de la formation qu’il dispense, formant des chefs, aussi bien d’un point de vue moral que technique. Le Scoutisme Français a fait tout de suite le choix de la fidélité au gouvernement de Vichy, tout en s’illustrant par des actes de résistance à l’ennemi et le service aux populations. S’il semble toujours aussi solide et vivant à l’issue de la guerre, de multiples crises internes sont cependant prêtes à éclater…


Notes

1 – Père Marcel Forestier, «Jouer à la balle au chasseur», Le Chef n°163, Paris, Les Scouts de France, mai 1939, pp. 243-246.
2 – Le Chef n°170, Paris, Les Scouts de France, avril 1940, p.125.
3 – Palba 1939 et Palba 1940, Scouts de France, Paris.
4 – Le Scoutisme Français, Règles de base du Scoutisme Français, Vichy, Le Scoutisme Français, octobre 1943, p.7.
5 – André Basdevant, «Le Scoutisme Français», L’Ami des Eclaireurs de France, Vichy, L’Eclaireur de France, novembre 1941, pp. 10-11.
6 – Le Scoutisme Français, Règles de base du Scoutisme Français, Vichy, Le Scoutisme Français, octobre 1943, pp. 39-41.
7 – Jean, «Une âme de vainqueur», En suivant la Route n°28, Bordeaux, Yves Ferrière, avril 1940, pp.5-6.

Sources

Louis V.M. Fontaine, La mémoire du Scoutisme, Paris, Publication L.F, 1999, 358 p.
Louis et Rémi Fontaine, 100 scouts morts pour la France, Riaumont, Edition La Porterie de Riaumont, 2000, 335 p.
Armelle Leroy, Un siècle de Scoutisme, Hors-Collection, 2007, 170 p.
L’Olifant, Bulletin mensuel des Cadets de Notre-Dame, Bordeaux, novembre 1945 à mai 1947.

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