Nous reproduisons ici une allocution du Chanoine Cornette lors des journées nationales des Scouts de France à Strasbourg. Du 10 au 12 Novembre 1933, des centaines de chefs étaient réunis autour du thème » Le scoutisme et les éducateurs de l’enfant : famille – Eglise – école « . Le compte-rendu de ces journées a été édité dans une numéro spécial de Le Chef, décembre 1933.
Voilà un texte qui rappellera à qui prends le temps de bien lire beaucoup de beaux principes qu’il nous faut conserver et incarner.
Allocution de l’Aumônier général
Scouts de France, Aumôniers et Commissaires, Chefs et Cheftaines, de tout l’élan de mon cœur et de toute la ferveur de mon âme, je vous salue en cette capitale de l’Alsace que j’ai connue avant qu’elle passât sous le joug de l’Etranger… et vous devinez quelle est ma joie de m’y retrouver, maintenant qu’elle est redevenue française.
Sous le signe de l’Action Catholique
C’est sous le signe de l’Action Catholique que vont s’ouvrir ces journées d’Etudes.
Par les concours que notre mouvement, (entreprise d’éducation de la jeunesse) veut apporter à la Famille et à l’Ecole, pour les aider et travailler avec elles aux reconstitutions spirituelles du Pays, vous êtes les Chevaliers de l’Action Catholique.
Ce n’est pas de moi que vous tenez ce titre, et je le regretterais si pour l’honneur de notre Mouvement, il n’avait plus haute, plus noble et plus glorieuse origine.
Il n’est pas inutile de rappeler ici, à l’occasion de ces solennelles assisses, ce point d’histoire qui inscrit une date dans nos annales et précise à la fois le caractère et le but de notre Mouvement.
C’était un soir de décembre de 1930, entre les Fêtes de Noël et l’aurore de la nouvelle année. Nous fêtions notre Xe anniversaire.
Ils étaient accourus de tous les points de France, nos Aumôniers, nos Commissaires, nos Chefs et nos Cheftaines. Ils se pressaient en foule dans l’immense salle de la rue Saint-Didier.
Ils étaient là devant nous, ces Scouts de France, tels que nous les avions rêvés… au regard clair, à l’âme enthousiaste. Fils de France, délégués de toutes nos troupes réparties sur le territoire de la Métropole et de nos Colonies – Phalanges impressionnantes, traduisant dans leur attitudes ces vertus de la race, où saint Louis eût reconnu ses Escoutes et Jeanne d’Arc ceux qui l’acclamèrent à Orléans et l’aidèrent, en la suivant jusqu’à Reims, à rendre la France à elle-même. Cette France il fallait la ramener au Baptistère où elle fut faite chrétienne et où elle devint Fille Aînée de l’Eglise.
Et nous songions alors que dix ans auparavant nous étions nés dans un sous-sol de la Cité Paroissiale de Saint-Honoré-d’Eylau, petite cellule, grain de sénevé qui, sous la bénédiction de Dieu, la consécration du Souverain Pontife et la faveur grandissante des Pasteurs des Diocèses, était devenu le Grand Arbre, à la puissante ramure, qui couvrait de son ombre la France et ses Colonies.
Cette sorte d’apparentement avec l’Eglise de Rome, née elle aussi des Catacombes, n’est pas la moindre de nos fiertés.
Nous nous comptâmes alors : nous étions 25 000… Et voici qu’aujourd’hui, après le triomphe du Scoutisme catholique à Gödöllö, en Hongrie, nous avons presque doublé ce chiffre. N’est-ce pas là un signe de Dieu ? de sa visible protection et la marque que notre Mouvement répond non seulement aux aspirations les plus profondes, les plus légitimes, aux besoins les plus impérieux du cœur de l’enfant, mais qu’il est une des nécessités de l’heure présente, une espérance pour la garde et la défense de notre civilisation chrétienne.
Or, tandis que le spectacle de la Salle Saint-Didier emplissait nos cœurs de joie et présentait à nos yeux les visions de l’avenir ; alors que le Général de Salins, notre très aimé et très vénéré Chef Scout, venait de déclarer ouverte notre Assemblée Générale, voici que tout à coup s’ouvre aussi la porte du fond de la salle et apparaît soudain une robe rouge : c’était l’Archevêque de Paris, le Cardinal Verdier, qui arrivait de Rome ce jour-là même et qui ayant appris notre Réunion voulait nous donner le témoignage de son ardente sympathie, nous marquer la faveur dont nous étions l’objet auprès de son cœur, nous dire les espoirs que le Souverain Pontife et lui-même fondait sur nous.
Il venait, sans tenir compte de la fatigue d’un long voyage, sans s’accorder une heure de repos… et nous entendons encore le son de ces paroles que nous recueillîmes avec fierté et qui tombaient, martelées lentement, dans un religieux et impressionnant silence : « J’arrive de Rome, nous dit le Cardinal, porteur d’un message Pontifical dont vous serez les premiers à connaître la teneur : il sera fondé en France, sous l’autorité de la Hiérarchie, un organisme qui groupera toutes les puissances d’action de l’Eglise et vous, les Scouts, vous serez les Chevaliers de l’Action Catholique ».
A peine ces mots eurent-ils été prononcés, que l’Assemblée debout répondit d’une voix unanime au signal donné par le Commissaire Provincial d’Ile de France, par son cri de ralliement :
« TOUJOURS PRÊTS ! »
C’était l’engagement solennel et sacré !
L’éclair qui passa dans les yeux du Cardinal, la joie qui s’exprima sur son visage traduisirent les sentiments de son cœur. Il sait ce que vaut la parole du Scout : c’est un serment de Chevalier.
Le secret ou la raison de cette faveur dont nous étions l’objet ne serait-elle pas que le Scoutisme de Scouts de France avait réalisé, avant la lettre, cette formule du laïcat, si cher au cœur du Souverain Pontife, et qui est la condition féconde de l’apostolat conquérant dans l’avenir ?
Cette formule avait trouvé son expression lumineuse dans l’article XVI de notre Réglementation Religieuse :
« L’Education par le Scoutisme (disons l’apostolat) ne peut se faire que par une collaboration confiante et surnaturelle de l’Aumônier et du Chef, du Prêtre et du Laïc. »
Voilà la Sainte Alliance qui doit triompher dans les Œuvres Catholiques.
Cet engagement, le premier qui recueillit l’Action Catholique Française, puisqu’il est antérieur à la constitution de son Bureau, l’Action Catholique ne l’oublia pas.
M. le Chanoine Richaud, assesseur ecclésiastique au Conseil Central de l’Action Catholique, ouvrit l’an passé nos Journées Fédérales à Lyon, en présence du Cardinal Maurin ; empêché de venir, cette année, remplir le même office, il vous dit, par ma voix son regret. Pour le remplacer, il délègue de R. P. Forestier, des Frères Prêcheurs.
Certes, il nous est doux de voir ici, en cette qualité, un des membres de la Famille Dominicaine. Mais ce Délégué de l’Action Catholique a d’autres titres à l’affection des Scouts : il fut, dès l’origine du Mouvement, l’un de ses jeunes Chefs le plus actifs, et comme Premier Commissaire de la Route, présida à l’orientation de cette troisième étape de la Formation Scoute, sur laquelle se concentre, avec l’intérêt qui se devine, l’attention des Chefs de l’Eglise et de tous les Educateurs Chrétiens, parce que c’est aux fruits qu’on juge de l’arbre et que la Route est le couronnement de la pierre de touche, de tout notre système d’Education
Ceux qui la regardent du dehors disent qu’après les inévitables tâtonnements du début, elle démarre splendidement, sous la direction de Chefs expérimentés, profondément chrétiens.
Leur succès est assuré parce qu’ils insèrent les disciplines scoutes (sans lesquelles on ne créera pas ce type de jeune homme, ce style gardien de la race et de nos traditions), ce vrai Chevalier de l’Action Catholique, non seulement dans les disciplines de l’Eglise, mais dans cet esprit qui, né des enseignements du Christ, commande toute la vie et inspire tous les dévouements.
Chevaliers de l’Action Catholique, auxiliaires de l’Ecole et de la Famille, Rebâtisseurs de la Cité Chrétienne, c’est à tous ces titres que je vous salue aujourd’hui et que je demande au Christ Jésus de bénir et de féconder ces Journées d’Etudes d’où sortiront pour lui un accroissement de Gloire et pour la Famille Française plus de bonheur et plus de vertu.
Ensuite le R. P. Forestier, O. P., représentant le Chanoine Richaud prit la parole.
Mes Chers Frères Chefs,
Cette délégation n’est pas sans me paraître un peu lourde. Je ne suis pas sans éprouver une sorte de confusion. Je vous avoue que je me sens plus près d’un petit Scout de douze ans que des grands chefs de l’Eglise. Mais, je me dis que si les Scouts de mon ancienne petite troupe de Villemomble avaient pu voir, dans une vision d’avenir, leur Chef à la place que j’occupe, ils en eussent été, candidement, fiers. Et alors cela me console un peu !
Dans la lettre que voici, M. le Chanoine Richaud me charge d’attirer l’attention de votre Congrès sur les deux points suivants :
Premièrement, on considère comme très important que vous vous préoccupiez de préciser votre méthode d’éducation. Mais aussi que vous ayez le souci d’en assurer le rayonnement et la pénétration dans les milieux familiaux et scolaires. Sans oublier de bien discerner, dans cette pédagogie nouvelle, ce qui pourrait être périlleux ou contraire aux principes chrétiens de l’éducation.
Une seconde idée. Les Scouts, discrètement, peuvent jouer un grand rôle s’il s’agit de réinstaurer dans la famille les vieux usages de courtoisie chrétienne. Si nos C.P. prennent le goût de faire régner cette délicatesse et ces mœurs chevaleresques dans leur patrouille, c’est tout naturellement que, plus tard, les foyers qu’ils fonderont seront imprégnés de noblesse chrétienne.
Il y a une troisième chose dans cette lettre. Une chose qui n’y est pas écrite. Mais je crois bien qu’elle s’y trouve quand même. Et c’est qu’à l’Action Catholique on vous aime bien. Ne pouvant venir en personne, je crois bien que M. le Chanoine Courbe et M. le Chanoine Richaud se sont dit qu’il faudrait trouver quelqu’un dont la seule présence fut le signe de cette affection. Et c’est ainsi, sans doute, que passant sur tout le reste, ils m’ont choisi pour les représenter. Si c’est bien cela, si vraiment ils voulaient vous manifester leur affection profonde, j’ose dire, humblement qu’ils ne pouvaient pas mieux choisir.
Ce matin, frères Chefs, dans la cathédrale, vues de l’autel, vos têtes qui ondulaient aux différents rythmes de la prière, évoquaient irrésistiblement l’image d’une moisson. D’une moisson qui aurait surgi là. Et je songeais : Il y a quinze ans, il y a dix-neuf ans, c’étaient les sanglants labours, les douloureuses semailles. Et ce matin, sur leurs tombes, les épis déjà mûrs, la riante moisson.
Monsieur l’Aumônier Général, cette sorte d’incendie parti de votre cœur ne s’éteindra plus. Le travail déjà fait, celui que nous allons faire, il me plaît de vous en faire l’hommage.
M.-D. FORESTIER, O. P.