L’Homme ! Comment le définir ? Quel est-il ? Comment fait-il son unité ? Qui suis-je ? Quelle est ma finalité ?
Rassurez-vous, de philosophie ou de théologie, nous n’ouvrons ici aucun traité. Posons simplement quelques éléments de réflexion.
L’homme est un être spirituel, qualifié par un corps d’une manière originale. Il y a union substantielle entre le corps et l’esprit. Pour nous aider dans notre compréhension, on peut définir en l’homme une vie végétative (manger, grandir, se reproduire), une vie sensitive (les sens externes, internes, les appétits et les passions), et une vie spirituelle (intelligence et volonté). Ces trois « vies » sont intimement unies et sont toutes orientées vers un but, un plein épanouissement, auquel aspire toute vie humaine : l’amour, ou la vie contemplative.
Qu’est-ce donc que la contemplation ?
Contempler, c’est aimer. C’est cette « activité » passionnante qui est totalement gratuite, qui repose, qui suspend le temps. Lorsque nous contemplons, nous vivons dans l’instant présent, et nous n’avons plus de tracas.
Souvenez-vous du dernier coucher de soleil devant lequel vous vous êtes ébahi : un instant, on s’arrête. On est là, on regarde. Et plus rien n’existe autour de nous. Quelques secondes ou plusieurs dizaines de minutes, qu’importe. Le temps s’est arrêté. Je regarde, juste parce que c’est beau, et que mon âme en est ravie. Mon corps et mon esprit se détendent. Je goûte une plénitude simple et rare.
Si, d’aventure, il me prend l’envie de « partager » cet instant sur mon journal Facebook, je perds tous les bénéfices de cette contemplation : je cherche mon téléphone pour prendre une photo, pour, dans un sens, accaparer et posséder ce bien. Je cours après le temps, je ne fais que penser, sans vraiment regarder, pour trouver le meilleur moment, pour effectuer le meilleur réglage, pour gagner quelques centaines de vues et de « like ». Ce ravissement qui m’est offert n’évoque plus pour moi que le gain de popularité que je pourrai en tirer, il accélère le temps, il m’excite fébrilement.
Joie de l’homme qui sait parfois vivre en pleine nature sans téléphone, sans appareil photo, sans rien d’autre que ce cœur à cœur intime avec le Créateur de toutes choses. Joie du camp scout. Joie de celui qui a compris, avec saint Bernard, que la nature n’est qu’un grand livre ouvert, qu’un grand miroir qui nous parle du Très-Haut, qui nous l’offre en contemplation. Profondeur de l’article 6 de la loi (1). D’aucuns le trouvent naturaliste. C’est peut-être l’un des plus profonds.
Mais descendons de nos nuages, et revenons à nos moutons. L’homme trouve son repos dans la contemplation. C’est la plus grande faculté humaine.
S’épanouir chaque jour
Pour cela, il me faut du temps, du silence. Si mes sens externes sont sans cesse sollicités, par un écran, par une notification sur mon téléphone, par un bruit incessant, de la rue au supermarché, du supermarché au cours de maths, du cours de maths au dernier tube dans mes oreillettes, du dernier tube à ma page facebook que je consulte avant de m’endormir… si mes sens externes sont toujours en éveil, ils ne pourront jamais nourrir mon imagination, et moins encore ma volonté, qui veut du temps et du silence… pour contempler et se reposer.
On pense bien sûr à l’application surnaturelle de la contemplation, et il faut bien avouer que toute contemplation est un medium qui nous mène à l’Absolu et à Dieu ;mais nous pouvons, nous devons exercer cette faculté tout au long de nos journées, jusque dans les plus petites choses. On peut contempler son ménage achevé, sa dissertation de français, ou cette nouvelle étagère posée. Mais pour contempler, il faut que mon œuvre soit terminée.
Nous avons tendance à considérer que l’œuvre est achevée sur un critère qui lui est extérieur : le temps ou le budget imparti le plus souvent. L’heure de cours qui se termine, ou cette prestation chez le client qui ira bien comme ça, « pour ce qu’il me paye ».
Mais n’est-ce pas mieux de terminer l’œuvre elle-même ? Qu’elle soit complète, propre, belle ? Ainsi, on pourra s’arrêter un instant. S’en satisfaire, se reposer dans cette vision de l’œuvre achevée. C’est ainsi que naît la joie, le sentiment d’accomplissement. Plus encore, c’est ainsi que l’ouvrier participe de la transcendance des choses. Son travail achevé est une participation à l’ordre de la Création. Voit-on l’importance de l’article 7 de la loi scoute ? (2) « le scout ne fait rien à moitié »…
Mais dans notre monde, le temps et l’argent dictent tout. L’ouvrier n’est qu’un maillon d’une chaîne dont il ne voit ni ne connaît le début ou la fin. La tyrannie de la pointeuse règne sans partage, et qu’importe si les 40 heures sont réduites à 35. Est-ce là le véritable critère de la condition ouvrière, de l’épanouissement des travailleurs ? Se débarrasser du travail pour mieux jouir des vacances ? N’est-ce pas le travail achevé qui me procure le repos ? Comment l’employé qui travaille aux « trois huit » peut-il être dans le repos ? Jamais sa tâche n’est achevée. On peut ralentir la cadence, on peut augmenter le salaire, multiplier les avantages sociaux. Ce ne seront que des simulacres pour faire oublier une insatisfaction viscérale. La secrétaire, elle aussi, semble n’avoir jamais fini : les dossiers s’empilent sur son bureau, comme un puit sans fond, et plus elle travaille, plus les dossiers arrivent. Qui n’a jamais goûté la joie de vider la boîte de réception de ses mails ? Ces petits détails participent de l’équilibre psychologique de chacun.
Selon le même principe, un livre est un objet fini qui sollicite une action. Il sollicite mes sens, et je peux éprouver une satisfaction lorsque je l’achève et que je tourne la dernière page. Mais si je vais chercher mon renseignement sur Internet, il y aura toujours une autre page, un lien vers un nouveau sujet qui m’intéresse. Je ne finis jamais, je m’adonne à une consommation frénétique. Au mieux, ma tâche s’arrête avec le temps que je me suis fixé, ou parce que je suis appelé à une autre activité. La formidable immensité des ressources d’Internet est peut-être aussi son plus grand écueil. Je ne pourrai jamais être satisfait.
La contemplation est la finalité de l’homme. C’est à une contemplation parfaite qu’il aspire dans sa vie éternelle. C’est à une contemplation gratuite, qui suspend le temps, et qui repose à laquelle il doit se livrer ici-bas. C’est par la contemplation des petites choses que nous apprendrons à nos enfants à contempler la Source de tout bien. C’est ainsi que nous permettrons le plein épanouissement de la personnalité de chacun. C’est à cette satisfaction dans l’amour que doivent être ordonnées toutes les facultés de notre être. C’est ainsi que nous vivrons dans le paix et le repos, quelle que soit la tâche à accomplir, quelles que soient les turpitudes du temps.
Applications pratiques
Alors, chefs scouts, éducateurs : les camps arrivent. N’oublions pas :
• Laissons à nos enfants le temps de contempler, de voir la nature, sans avoir systématiquement à rendre un rapport, à passer une épreuve, à effectuer un relevé ou un croquis. Retrouvons le goût de la gratuité.
• Laissons à nos enfants le temps d’achever leur œuvre. Des installations à la cuisine, donnons leur le temps et les possibilités de ne rien faire à moitié, d’aimer le travail bien fait, la propreté, l’ordre. Qu’ils puissent jouir de leur coin de patrouille construit à la sueur de leur front. Que ce lieu de vie soit décoré, agréable, doucement ensoleillé. Qu’ils soient fiers de leur œuvre. La cohésion de la patrouille en sera plus forte. L’envie de grandir et d’aller plus loin en sera plus vive. L’épanouissement de leurs vertus en sera plus fécond.
L’article 6 de la loi scoute n’est pas un vestige d’indianisme animiste.
L’article 7 n’est pas un moyen d’assurer l’ordre au sein de la troupe.
L’un et l’autre sont profondément liés à l’humanité de l’être, à notre finalité, à ce que doit être l’homme vraiment homme, à l’épanouissement de chacun.
Offrons à nos enfants le temps nécessaire pour qu’ils puissent donner leur pleine mesure.
La contemplation est fleur d’humanité.