On parle souvent de société féodale pour définir le Moyen-Age. C’est peut-être l’une de ses plus grandes caractéristique, même si, en tant que telle, l’expression « Moyen-Age », au-delà d’être faussement discriminatoire, est imprécise (la période médiévale est ordinairement définie comme allant du Ve au XVe siècle… autant dire qu’il n’y a pas grande similitude entre ces deux extrêmes).
3 + 2 classes dans la noblesse
Depuis le VIIIe siècle (période carolingienne), les propriétaires fonciers dominent la vie économique et sociale. La société est composée en trois classes : les religieux (eux-mêmes propriétaires), les paysans, et l’aristocratie foncière. C’est à la fin du XIe siècle qu’apparaît une nouvelle classe : la bourgeoisie, dans les villes.
Le système féodal est fondé sur la dépendance mutuelle entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas la terre.
Ces derniers sont très divers : libres, serfs ou demi-libres. Ils ne sont pas soumis au service militaire.
Les premiers, s’ils sont de fait libérés des travaux des champs, se consacrent aux occupations guerrières. Ces nobles assurent la sécurité de tous et doivent entretenir une armée. Cet entretien est d’autant plus coûteux que depuis le IXe siècle, on ne se bat plus qu’à cheval, d’où le terme de chevaliers.
Ces seigneurs se classent selon l’importance de leur domaine. Il y a d’abord trois classes primitives, puis deux « ministériales » se rajoutent ensuite, par des accessions progressives à la noblesse.
1. | Roi | Seul dans sa classe. |
2. | Ducs, Margraves, Comtes | Vassaux de la couronne. Domaines de plusieurs centaines de villages. Lèvent des milliers d'hommes. Puissance égale à celle du roi au Xe s. |
3. | Haute noblesse* Barons (Ouest et Midi, Normandie) Sires, Seigneurs (Est) | Plusieurs villages. Disposent d'une troupe de chevaliers. |
4. | Chevaliers ordinaires Bacheliers | N'ont pas de chevaliers en-dessous d'eux. Propriétaire d'un village ou d'une partie de village. |
5. | Ecuyers et valets nobles | Se forme au XIIIe s. |
* Plus tard, on les nomme bannerets : pour réunir leurs hommes, ils fixent au bout de leur lance une bannière quadrangulaire.
Le lien féodal
La vassalité est vraiment la caractéristique de la période. Elle s’est développée dans les derniers temps des Mérovingiens, lorsque les Carolingiens eurent besoin de réunir autour d’eux des forces militaires. Le principe en est simple : une terre se prête comme bénéfice (beneficium) à un subordonné contre certaines obligations personnelles. Ainsi se forme une hiérarchie de vassaux et de suzerains.
Ainsi, depuis le Xe siècle, sont distribués des fiefs (feudum, foedum, beneficium) qui constituent des terres limitées. La propriété totale, libre, est nommée alleu.
Le vassal est lié à son maître, le seigneur (senior) dont il reçoit le fief par un acte solennel :
Il plie le genou devant le seigneur et met ses mains jointes dans les siennes, en se déclarant son vassal. Ainsi, il se lie à l’autre, et devient son homme-lige. C’est l’hommage (homagium).
Le seigneur relève alors le vassal agenouillé et lui donne le baiser de paix. Le vassal jure sur l’Evangile ou sur des reliques de garder fidélité à son maître. C’est la fidelitas ou fides. La foi, la féauté.
Hommage + Féauté = Commendatio
Pour le récompenser de son engagement, le seigneur donne à son homme un fief.
En général, le fief est un domaine, mais il peut être n’importe quelle source de revenus. Il est remis par un acte symbolique, le seigneur donnant au feudataire un râteau, un bâton, un gant, un glaive, une lance, des éperons, une coupe… C’est ce que l’on nomme l’investiture : la remise symbolique du fief. Celui-ci n’est pas donné en possession complète, mais simplement en jouissance. Le contrat est renouvelé à chaque génération.
Dans le système féodal, tout repose sur des bases morales et sur l’honnêteté entre le suzerain et le vassal, entre le seigneur et le paysan. Honneur n’est pas un vain mot. Le fondement de la société, c’est le principe chrétien de l’amour du prochain.
Vois-tu, mon scout, ce que signifie cette note historique ?
Tu es, toi aussi, de cette noblesse, de cette classe d’homme qui protège le faible. D’abord simple écuyer, tu progresses dans la hiérarchie non pour accroître ton pouvoir, mais ton devoir et tes responsabilités. Plus tu montes, plus tu dois protéger, plus tu dois servir. Regarde ce pouce qui se pose sur ton auriculaire lorsque tu salues : le fort protège le faible… y as-tu bien pensé ?
Bientôt tu seras chef de patrouille. Toi aussi, tu te présenteras devant ton chef, à son appel. La terre, le fief qu’il te donnera en bénéfice, ce seront tes scouts. C’est une terre qu’il faudra faire fructifier, et peut-être à cet instant, en ton cœur, entendras-tu résonner les mots prononcés il y a deux mille ans lorsque Notre-Seigneur racontait la parabole des talents à sa petite troupe de chevaliers.
Tu ne plieras pas le genou devant ton chef de troupe, mais devant lui tu promettras et tu t’engageras. Tu lui rendras hommage, et lui fera confiance à ta fidélité. Ton commandement dépend de cet hommage et de cette fidélité, parce qu’ils t’insèrent dans une grande lignée de vassaux et de suzerains, avec, au sommet, le Roi des rois, Dieu lui-même, Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Chacun à sa mesure, Dieu nous octroie un fief(1), et c’est ton chef aujourd’hui qui se fait suzerain pour te le donner. Il te donne ce domaine de sept garçons. C’est un domaine à la fois temporel et spirituel qu’il t’appartient de défendre et de vivifier. Symboliquement, le chef te remet un bâton, que nous nommons chez nous staff, et sur lequel, tel le banneret, tu arbores les armes de ta maison, pour réunir tes hommes.
Tu es investi.
Reconnaissant eux-mêmes ta nouvelle légitimité, tes frères dont tu deviens aussi le chef te prêtent allégeance. L’honneur que tu mettras à remplir ta charge, l’amour porté à tes garçons, seront les garants de la société scoute. Si tu brises ces liens, toute la troupe s’effondre.
Dans cette courte cérémonie, c’est tout l’idéal auquel tu t’engages, toute la spiritualité scoute qui est exprimée. C’est, en quelques mots, une leçon de commandement et d’apostolat, c’est une voie lumineuse pour suivre le Christ, qui fut lui même frère et chef parmi ses disciples et parmi les hommes. Mais cela, nous en reparlerons une autre fois…
(1) Dans son poème Chef, le Père Sevin écrit au sujet du Chef de Troupe : « Toute la Troupe à toi se livre, Nous sommes ta chose et ton fief ; O Chef, nous te regardons vivre : O notre Chef, sois notre Chef. » (Ce dernier étant bien sûr Jésus-Christ).
L’investiture d’un chef de patrouille
Le scoutmestre : Scout X…
Le scout sort du rang, vient se placer au centre, et salue. Le chef peut alors lui adresser quelques mots, brefs, incisifs, sur la grandeur de son rôle, sur sa responsabilité de frère aîné à qui Dieu va confier sept âmes de garçons. Puis il conclut :
Scout X., la Cour d’Honneur de la Troupe (ou : la Patrouille des …) t’a choisi pour chef de patrouille. Promets-tu d’être un bon chef de patrouille ?
Oui, Chef.
De donner en tout l’exemple ?
Oui, Chef.
D’être loyal à tes chefs ?
Oui, Chef.
De te dévouer à tes frères, partout et toujours ?
Oui, Chef.
D’aimer, d’instruire et de gouverner ta patrouille avec douceur et humilité.
Oui, Chef.
De faire observer la Loi Scoute, et les Règlements de la Troupe et des Scouts de France ?
Oui, Chef.
Bien. Désormais, sois donc regardé par tous les Scouts de France comme un vrai et légitime Chef de Patrouille, et prends le commandement de la Patrouille des …
Le nouveau CP met la main au demi-salut, et dit :
Je vous remercie, Chef, et je promets de vous obéir fidèlement, de vous aider de tout mon pouvoir dans le gouvernement de la Troupe, et d’aider en tout mes frères scouts les … (ici le nom de la Patrouille) dont Notre-Seigneur me fait par vous Chef et gardien.
On lui remet alors la cordelière blanche qu’il enlacera à son foulard (il est préférable que les deux bandes blanches soient cousues d’avance sur la chemise) ; puis le chapeau orné de la banderole spéciale aux CP. Enfin, son bâton scout, portant le fanion de sa nouvelle Patrouille.
Le CP fait alors le grand salut à l’Aumônier, au Scoutmestre et aux Assistants (un seul salut), puis leur serre la main ainsi qu’aux CP, ses égaux, rangés de chaque côté des chefs supérieurs.
Se tournant alors face à la Troupe, le nouveau CP, après avoir confié son fanion à son voisin ou l’avoir fiché en terre, s’avance d’un pas hors de la ligne des CP et reçoit l’obédience de sa patrouille : chaque Scout se présente à son tour, place sa main gauche dans la main gauche de son chef, qui la recouvre de sa main droite, et il dit :
Je te promets de t’obéir comme au Scoutmestre, de t’aimer comme mon frère aîné, d’être loyal à la Patrouille et de ne l’abandonner jamais.
Le CP peut répondre à chacun : Merci.
Lorsque les sept scouts de la patrouille ont ainsi fait hommage, tous les CP, y compris le nouveau promu, vont se replacer dans le fer à cheval, à la tête de leur patrouille. Si la cérémonie se termine par un départ ou une marche, c’est le nouveau CP et sa Patrouille qui passent les premiers.
Aspects historiques d’après Gustave Schnürer, l’Eglise et la civilisation au Moyen-Age, Payot, Paris, 1935.
Merci au Père Hervé, de Riaumont, pour ses précisions quant aux différentes versions de la cérémonie d’investiture. Une étude comparative effectuée par le labo scout est accessible ici. Nous proposons la toute première version, parue dans Le Chef n°3, de mai 1922.
Addendum
Notons en complément de cet article que saint François d’Assise, qui reprit l’esprit de la chevalerie au profit de son Ordre, s’inspira aussi de ces cérémonies. Ainsi, lors de la profession religieuse d’un capucin, le profès est à genoux devant le supérieur, reconnaissant sa subordination : le vœu fondamental est celui d’obéissance. Le profès, comme le vassal, met ses mains dans celles du supérieur : c’est à travers l’Ordre que le profès se lie à Dieu. La profession va plus loin que les vœux. Les deux religieux échangent ensuite le baiser de paix. Enfin, la profession entraîne des obligations spécifiées par la Règle.
Chez les Bénédictins ou les Dominicains, les rites de la cérémonie de profession sont très différents.
Le texte d’investiture et d’allégeance au CP que vous donnez n’est pas l’original du P. Sevin. Mais c’est surtout dans l’Investiture des Chefs qu’on a relevé le plus de variantes, plus ou moins heureuses.
Le Laboratoire Scout de Riaumont en a étudié les comparaisons : https://goo.gl/gB962I
Merci mon Père pour cette précision. Nous modifions l’article en conséquence.
Effectivement, les modifications de cérémonial ne sont pas toujours très heureuses, quand elles ne trahissent pas l’esprit – volontairement ou non – du Père Sevin. Pour l’investiture du CP, je pense notamment à ces nouvelles coutumes vues dans certaines troupes, où le CP passe lui-même son staff à son successeur. Ca n’a pas beaucoup de sens lorsqu’on cerne les origines de cette cérémonie, et ça horizontalise le pouvoir, alors qu’il est bon de montrer à l’enfant que son autorité, comme celle de son chef, vient de Dieu.